LEO REYRE
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 ROQUEBLANCHE

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Leo REYRE
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Leo REYRE


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Date d'inscription : 20/01/2010
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MessageSujet: ROQUEBLANCHE   ROQUEBLANCHE I_icon_minitimeJeu 28 Jan - 15:37

ROQUEBLANCHE Ccf28019

PREFACE

Ne cherchez pas Raspègue sur la carte. Ce village n'existe que sur un lobe de mon cerveau. En fait, il n'est qu'un prétexte à une histoire humaine.
Imaginez-le tout de même.
On quitte la nationale pour une route sinueuse et étroite qui s'élève rapidement. Sur ses bas-côtés, des chardons bleus, des chicorées bleues, des apphyllantes
bleues, des lins bleus. Au-dessus d'elle, le ciel bleu.
Puis le paysage semble éclater jusqu'aux collines qui viennent s'écraser en deux ou trois vagues sur des barres de roches blanches.
Les blés et les luzernières ont cédé devant la vigne et la lavande.
Quelques fermes masquées par des haies de cyprès, des truffières, des sureaux, des canniers, puis des maisons agglomérées autour des vestiges de la foi et de la puissance: une église romane couverte de "bards" et une tour médiévale affublée d'une horloge dont la ponctualité a eu raison des matines, angélus et vêpres qui rythmaient autrefois, quand il y avait encore un curé pour tirer sur les cordes, la vie du village.
Imaginez une place ombragée de platanes avec son café, sa fontaine, son école-mairie, et son monument aux morts. Les commerces de première nécessité se situent de part et d'autre du "cours" qui est l'artère principale de Raspègue. Le "cours" n'est pas une avenue. C'est la moins tortueuse des rues du village. C'est aussi la plus large puisqu'un car pas très long et un camion pas très large peuvent s'y engager avec une bonne chance de s'en sortir.
Plus haut, sur un rocher qui s'isole des barres et domine la vallée de la Jasse, on devine, par quelques pans de murailles et un moignon de tour, qu'il y a eu, jadis un château.
C'est Roqueblanche.
Si l'on reste sur la nationale, on passe à côté de Raspègue sans le voir mais, pendant des kilomètres, les ruines de Roqueblanche semblent vous suivre d'un regard réprobateur comme pour dire:
"Passe ton chemin puisque tu es pressé, mais tu ne sais pas ce que tu manques".
Certains font demi-tour et s'engagent sur la petite route sinueuse et étroite. . . comme vous, cher lecteur.
Le décor est planté.
Silence. . . Moteur. . . Action. . .


AINSI COMMENCE LE ROMAN

Ceux qui dormaient fenêtres ouvertes se sont réveillés en sursaut. Mais, dans la nuit lavée par l'orage de l'après-midi, ils n'ont entendu que les grillons qui striaient le silence.
Ils se sont levés pour boire un verre d'eau et ils se sont recouchés.
Ils ont bien entendu aussi les chiens des fermes qui aboyaient aux étoiles mais ils n'ont rien trouvé d'insolite à ces coups de gueules nocturnes. Il suffit que l'un d'eux commence pour que les autres lui répondent. Leurs palabres peuvent durer des heures.
A quoi pouvait bien correspondre cette explosion qui les avait tirés de leur premier sommeil?
" Tu as entendu, toi aussi?
- Pardi.
- C'est sûrement ceux du maquis.
- Probable.
- Ils ont dû faire péter un dépôt.
- Dans notre campagne?
- Pourquoi pas? Les Fritz en ont flanqué un peu partout.
- Et tu crois qu'il y en a dans notre trou?
- J'ai ma petite idée. Ils circulent pas mal sur le chemin de Roqueblanche.
- En tout cas, des choses comme celle-là, ça va les attirer dans le coin. Jusqu'à maintenant, ils nous ont laissés tranquilles. Ils passent sur la nationale mais ils ne prennent pas souvent notre traverse.
- A mon avis, ils doivent avoir d'autres soucis. Ca fait plus d'un mois que les Alliés leur dament le pion. Tu te rends compte, le premier 14 juillet de l'espoir! Il fallait bien un feu d'artifice, non!"
Alors, Jean et Colette Arnaud sont allés à leur fenêtre pour attendre les gerbes multicolores du bouquet final mais ils n'ont vu qu'un ciel d'étoiles fixes avec, sur les hauteurs, quelques nuages traînants pâlement éclairés par une lune dans son premier quartier. Pas la moindre lueur montant du sol.
Une simple nuit de juillet avec ses odeurs de thym et de chaumes.
A cet instant, il y a eu comme un crépitement de fusillade.
Aux fenêtres des maisons qui entourent la place, les voisins sont aussi venus voir.
" Eh Jean! Tu as entendu?
- Je ne suis pas sourd.
- Qu'est-ce que c'était?
- Un accrochage probablement.
- Et avant?
- Sûrement un pétard.
- Alors, il devait être gros et bien sec. J'en ai encore la chair de poule.
- Ca venait d'où?
- Va savoir? Il m'a semblé que ça venait de là-haut.
- Moi aussi, il m'a semblé. Mais c'était peut-être l'écho.
- On verra de jour. "
C'est alors que, dans la nuit, quelqu'un s'est mis à fredonner la Marseillaise. Aussitôt, chacun l'a entonnée. D'abord comme un murmure. Puis, insensiblement, le volume a augmenté pour devenir sur cette place du village de Raspègue un hymne poignant à la patrie.
Le maître d'école a fait le tour de la place avec un drapeau tricolore dans une main et un flambeau dans l'autre. Alors, toutes les fenêtres, jusqu'à cet instant éteintes en raison du couvre-feu, se sont éclairées. On a couru aux greniers chercher les drapeaux que l'on avait cachés sous le blé ou dans les vieilles horloges. En quelques minutes, la place a été envahie de gens en chemises ou en tricots de peau qui se sont mis à tourner autour de la fontaine en chantant.
" Tu n'as pas vu Paul?
- Non. Mais il n'y a pas ses copains non plus.
- Ca m'étonne.
- Avec les journées de batteuse qu'ils font, moi, ça ne m'étonne pas. Ils ont besoin de dormir.
- Tu devrais quand même aller voir à sa chambre.
- Comme mère poule, tu te poses un peu là. Ce n'est plus un minot.
-Va quand même voir.
- Je finis mon verre et j'y vais. "
Jean a fini son verre de vin mousseux et il a quitté la margelle du bassin où les hommes s'étaient assis pour déguster le pétillant d'Armand le cafetier.
"Garde-moi la place: je reviens. Si Armand refait une tournée, n'oublie pas mon verre.
Nonchalamment, Jean est revenu vers sa maison. Ce qui l'a un peu étonné, c'est de constater que les volets de la chambre de Paul étaient clos.
"Il se sera enfermé à cause du raffut. Ah! les jeunes! Ils préfèrent s'étouffer dans le noir que venir trinquer avec les vieux. "
Il a entrebâillé la porte de la chambre de Paul. A la clarté venue du couloir, il a vu que le lit n'était pas défait. Une sourde inquiétude s'est emparée de lui.
" Pourvu qu'il n'ait pas fait le couillon. D'habitude, il le dit quand il va coucher chez un copain. . . ou alors, ils sont encore restés à la batteuse. "
Machinalement, parce qu'il a pris le frisson qui le parcourait pour un frisson de froid, il a enfilé son veston et s'est coiffé de son feutre. Maîtrisant son angoisse, il a pris un air naturel, s'est raclé la gorge pour la dénouer puis est venu reprendre sa place sur la margelle.
"Macarèu! Te sis acata!"(Diable! Tu t'es couvert!) s'est étonné le vieux Bastian en le voyant ainsi vêtu en cette chaude nuit.
Jean n'a rien répondu. Il a seulement esquissé un sourire à l'adresse du vieillard.
"Alors? lui a demandé Colette.
- Il dort, lui a répondu Jean.

**

On ne fête pas le 14 Juillet à Raspègue.
A onze heures moins cinq, tout le village est sur la place: le maire et son conseil, les enfants de l'école et leur maître, les jeunes, les moins jeunes, les vieillards. On ne dit rien. On attend.
On attend que sonne le premier coup d'onze heures à l'horloge de la tour.
Alors, la cloche de l'église égrène gravement les notes douloureuses du glas. On tourne le dos au café Armand et on fait quelques pas vers la boulangerie Blanc. Quelques pas seulement car un obstacle barre le passage. C'est un mur que l'on a érigé avec des pierres du château. Sur ce mur, sept noms sont gravés. Au-dessus de chacun figure un visage souriant.
Ce sont les sept martyrs du village.
Etienne Freinet, 18 ans
Gérard Péliçon, 19 ans
Paul Arnaud, 17 ans
Guy Bertrand, 20 ans
Valentin Guérin, 17 ans.
Frédéric Gachet, 42 ans
Dominique Viviani, 35 ans
C'est Jean Arnaud, le maire de Raspègue, qui demande une minute de silence à leur mémoire.
Il n'a jamais pu en dire plus sans fondre en larmes.

**

Bien avant le lever du jour, le vendredi 14 Juillet 44, il a pris la direction de la côte. Il a longé les vignes de Bertrand, traversé les chaumes, escaladé les rocailles qui surplombent la carrière. De là-haut, on peut voir toutes les entrées taillées dans le flanc de la colline. Depuis une trentaine d'années, on a cessé d'exploiter la pierre mais des siècles de labeur ont creusé des galeries et des cathédrales dans ce sol ingrat. Malgré les interdictions, les carrières ont toujours attiré les enfants du village. Ils y ont tous testé leur courage en s'enfonçant le plus loin possible, dans le noir, d'une salle à l'autre, jusqu'à ce que le cri sadique d'un copain, amplifié par le vide, ne les fasse fuir d'effroi. Les plus grands y ont rencontré leur premier émoi comme l'attestent les nombreux cœurs qui enferment à jamais, gravées dans la pierre, des initiales enlacées, griffes juvéniles des amours éternelles.
Du haut de son promontoire, Jean ne distingue rien d'autre que quelques pipes de carburant qui semblent avoir été abandonnées. Progressant sous le couvert des chênes verts, il atteint les derniers blocs de roche brute. Dans l'aube naissante, ses yeux aguerris à la nuit ne perçoivent aucun signe de présence. Sur le parvis de la première cathédrale, le sable humide porte les marques d'un trafic de camions et de chenillettes. Prudemment, il attend.
Deux lapins s'ébattent. Ils se dressent sur leur arrière-train comme s'ils bavardaient puis bondissent et courent en tous sens. Jean suit leur manège avec intérêt.
"S'ils jouent ainsi, c'est qu'il n'y a personne dans le coin".
Fort de son raisonnement, il s'avance de quelques pas. Les lapins ont fui. Il scrute les alentours. Aucune présence. Alors il s'approche et se glisse entre les blocs de taille abandonnés. La salle est vide. La galerie qui s'enfonce dans la nuit ne révèle aucune vie.
Il passe alors à Sainte-Lucie, qui est moins haute et plus étroite. C'est la cathédrale des "fretadous"(flirteurs), celle où les recoins sont autant de nids. C'est le sanctuaire du village. Les niches de la roche, comme les chapelles, portent les blasons de ceux qui y connurent "la révélation sublime".
Sainte-Lucie sonne creux, tout comme Saint-Jean et Saint-Pierre qui s'échelonnent en suivant la falaise.
Il est soulagé lorsqu'il quitte le cratère des carrières.
Les yeux grand ouverts sur le plafond de sa chambre, il s'était forgé l'idée qu'il avait dû se passer quelque chose dans ce coin. Il avait vécu un cauchemar éveillé tout en écoutant les bruits nocturnes avec l'espoir d'y discerner le crissement du vélo de Paul.
Maintenant, libéré de cette angoisse, il a la conviction que rien n'a pu advenir et il se reproche cette idée fixe qui l'a privé de sommeil. .
Il prend le chemin de Bertrand qui gravit la colline jusqu'à sa crête afin de profiter pleinement du soleil qui se lève. Les herbes n'ont pas bu toute l'eau de la veille et quelques filets clairs coulent entre les touffes. L'air matinal sentir le genêt et la résine. Plus haut, du côté de la chapelle Sainte-Quénize, des pies jacassent comme si elles pistaient un renard.
Chaque fois qu'il passe par-là, Jean s'arrête au bord de la barre pour contempler son pays.
Il s'assoit sur une dalle et, rituellement, se fait la même réflexion:
" C'est normal que je l'aime: il est si beau! "
Et c'est vrai qu'il est beau avec ses vignes, ses lavandes, ses blés et ses genêts qui l'ourlent de dentelles, avec ses maisons aux tuiles rose fade qui s'agglutinent autour de la place, avec son clocher roman et sa tour médiévale.
La brise qui se lève le tire de sa contemplation. Elle n'a pas son odeur habituelle de chaume et de fourrage, cette brise qui monte du vallon de Bertrand. Elle est un peu âcre, comme si elle portait des traces de fumée refroidie.
Alors, Jean bondit. A toutes jambes, il traverse le bosquet de fayards qui lui masque la ferme de son ami. Il atteint l'escarpement qui, d'ordinaire, plonge dans le vallon par des cascades d'éboulis.
Le vallon n'existe plus. Ce n'est qu'un nuage gris qui s'effrange lentement par le haut comme un brouillard. Un nuage de fumée.
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