LEO REYRE
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 LE CHEMIN DE BARBARAS (suite 13)

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Leo REYRE
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LE CHEMIN DE BARBARAS (suite 13) Empty
MessageSujet: LE CHEMIN DE BARBARAS (suite 13)   LE CHEMIN DE BARBARAS (suite 13) I_icon_minitimeLun 12 Avr - 12:46

LE JOUR OU THERESE PARLA D’ENVOYER ANTOINE A L’ECOLE

Antoine devint un enfant sans sourire et sans jeu.
Son regard fuyait les yeux embués de larmes de sa mère et ceux de François chargés de gravité.
Lorsqu’il portait la corbeille de linge au lavoir, les lavandières arrêtaient leurs commérages, levaient la tête et le considéraient avec compassion.
Un jour, Thérèse, chagrinée de lui voir, à chaque repas, refuser la nourriture, essaya de la raisonner :
« Tu es encore un petit bonhomme, sais-tu. Si tu ne manges pas, tu ne seras jamais grand. Tu pousseras tordu comme l’amandier de la vieille Berthe. »
Antoine s’intéressa à une mouche au plafond et ne desserra pas les lèvres.
« Si, au moins, tu avais des copains de ton âge ! Sais-tu à quoi je pense ? Tu devrais aller à l’école. Beaucoup d’enfants, même plus petits que toi, y vont. Un jour, ils seront savants et toi, tu ne sauras même pas lire.
A quoi ça sert de lire ? Baptiste, il ne lisait jamais et pourtant, c’était un savant… Il ne savait pas écrire non plus.
-Baptiste, c’était Baptiste. Moi, si je te dis cela, c’est pour que tu n’aies pas honte devant les autres. Un jour, tous les enfants iront à l’école. Toi, tu auras l’air de quoi si tu continues à signer d’une croix ?
Voila ce que je vais faire : dès que ça recommence, j’en parle à Monsieur Cabasson. Si ce n’est pas trop cher… »
Antoine haussa les épaules mais ne se révolta pas.
Baptiste tenait Monsieur Cabasson pour un homme cultivé et même érudit. Il lui avait parlé quelquefois lorsqu’il venait cueillir des fleurs sauvages dans la campagne.
Baptiste lui avait même montré des pierres curieuses qu’il avait trouvées au sud du plateau. Elles ressemblaient à des lames de couteau, à des pointes de flèches…
« Ce sont des céraunies, lui avait affirmé doctement Monsieur Cabasson. C’est la foudre qui fait éclater les pierres et qui leur donne ces formes étranges.
-On dirait pourtant qu’elles ont été taillées. Regardez le tranchant : c’est comme si on avait ôté des éclats avec application.
-Des céraunies, Baptiste, des céraunies ! »
Baptiste avait une toute autre idée et il en avait parlé à Antoine.
« Pour moi, ces pierres, ce n’est pas la foudre qui les a faites. La foudre, regarde ce que ça fait. »
Il lui avait montré un grand peuplier fendu de haut en bas par le milieu.
« La foudre, ça tue et ça brûle.
Dans le temps, il y a très longtemps, au commencement des hommes, les outils n’existaient pas, les armes n’existaient pas. Pour vivre, il fallait manger des herbes et des bestioles faciles à attraper : des tortues, des lézards, des rats.
Les hommes ont ramassé des cailloux et ils les ont envoyés sur les bêtes qu’ils ne pouvaient pas attraper.
Ils se sont aperçus que les pierres éclatées étaient plus tranchantes. Seulement, il y avait des pierres qui ne faisaient pas parce qu’elles étaient trop tendres. Alors, ils ont cherché des pierres plus dures. Ils ont trouvé. Plus elles étaient dures, plus le tranchant était coupant. Après, comme ils étaient intelligents et adroits, ils ont amélioré leurs outils et leurs armes. Ils les ont taillés, puis retaillés pour en tirer le maximum.
Moi, ces céraunies, je n’y crois pas du tout. Je ne le dis pas à Monsieur Cabasson parce que c’est tout de même quelqu’un qui connaît beaucoup de choses. Il lit beaucoup trop de livres de sciences, ce brave homme.
Tu vois, pichot, pour passer le temps quand je garde, il m’arrive de prendre une branche et, quand je n’ai pas mon couteau, je cherche une pierre tranchante pour l’écorcer. J’arrive même à la tailler. Alors, si je le fais, moi qui ne suis qu’un pâtre, je me dis que d’autres ont dû le faire aussi longtemps avant moi. Et puis, regarde. »
Baptiste avait pris une pierre à ses pieds. Il l’avait tenue dans sa main gauche et, avec un morceau de buis, il l’avait frappée à petits coups secs. De petits éclats étaient partis. Au bout d’un moment, il avait tendu la pierre à Antoine. Elle avait la forme d’une feuille de laurier. On aurait dit un bijou.
« Tu vois, pichot, si je la montre à Monsieur Cabasson, il m’affirmera que c’est une céraunie. »
Antoine ne savait plus où il avait mis cette pierre. Il se promit de la trouver et de raconter l’histoire des pierres de foudre à sa mère afin de lui prouver que Baptiste en savait plus qu’un maître d’école.
« Mon Toinou, Baptiste connaissait sans doute les nuages, les étoiles, les oiseaux, les animaux de la campagne parce qu’il vivait avec eux. Ce n’était pas pour autant un savant. Un savant, c’est quelqu’un qui sait tout. »
Antoine n’écoutait pas sa mère. Il segmentait des prêles et les reconstituait en tiges interminables qu’il lovait autour de ses pieds ou bien, il regardait le ciel où couraient des nuages.
Baptiste, son bâton magique pointé vers les étoiles, les nommait une à une par leur nom.
« Regarde bien le ciel, pichot. Dis-moi un peu : est-ce que ce sont les étoiles qui bougent ou les nuages ?
-Les nèbles (nuages), pardi !
-C’est vrai. Tu as raison. Ton intelligence te fait dire que ce sont les nuages qui bougent. Cependant, ce serait tellement plus beau si tu pensais que ce sont les étoiles. Il est bon parfois d’être un peu fou. Ce serait fantastique si nous n’étions sûrs de rien. Ce sont les savants qui détruisent les rêves. Un jour, quand ils auront tout expliqué, je crois que les gens seront très malheureux. Pichot, préserve-toi de tout savoir. Les savants ne rient jamais. Ils ne sont pas heureux parce qu’ils savent. »
« Maman, tu crois, toi, que ce sont les étoiles qui bougent ? »
Thérèse considéra son fils avec consternation.
« Dis, maman, tu crois que les savants sont malheureux ? Baptiste, tu crois qu’il était malheureux ?
-Tu dis des choses qui n’ont ni queue ni tête, mon pauvre petit. »
Antoine poursuivait son errance en compagnie de Baptiste.
Lorsque François vint prendre des nouvelles, Thérèse lui fit part de son inquiétude.
« Il divague. Il parle d’étoiles, de nuages. Il est dans son monde. Il parle seul comme la vieille Berthe. La nuit, il crie. Il appelle Baptiste ou Guillaume. J’ai peur. Je ne voudrais pas qu’on l’enferme chez les insensés.
-Tu imagines tous les drames qu’il a vécus en peu de temps ? Guillaume arrêté, Baptiste assassiné, l’explosion…
Pour le guérir, je ne vois qu’une solution : le mettre avec des enfants de son âge pour qu’il partage, avec eux, des jeux et des activités normales. Il s’est frotté de trop près au monde des adultes. Il faut qu’il redevienne un enfant. La meilleure voie, ce serait l’école qui est la base même de la nation.
-Je voulais justement vous demander conseil à ce sujet. Moi, il ne veut pas m’entendre. Si vous lui parliez, peut-être vous écouterait-il.
-Je veux bien essayer mais c’est un petit sauvage dans un monde où il faut accepter des règles. Nous, nous représentons ce monde dont il ne veut pas. M’écoutera-t-il mieux que vous ?
L’ignorance est le pire des maux. Pendant des siècles, on a tenu le peuple dans l’ignorance pour mieux l’asservir. Ce temps-là est révolu mais la République patauge. Le bonheur du peuple reste une utopie. Cependant, il faut être confiant en l’avenir. Les années noires finiront, j’en ai l’intime conviction. Seulement le temps passe, les enfants grandissent. Les enfants d’aujourd’hui seront un jour des hommes, des hommes qui ne seront libres que s’ils ont les moyens de se défendre. Le savoir est un de ces moyens.
Suis-je un visionnaire si je pense que l’école doit être obligatoire ? Nombreux sont les parents qui pensent que leurs enfants sont faits pour traire les chèvres, garder les troupeaux ou travailler dans les filatures. Ils sont réticents à l’idée de les envoyer perdre leur temps à ânonner et à tenir une plume d’oie dans des caves ou des remises sombres. Anonner : faire l’ânon ! Quelle idée !
-Dans des caves ou des remises ?
-Vous le voyez bien. A la Convention, certains esprits trop pressés, mettent la charrue avant les bœufs. Ils veulent envoyer les enfants à l’école tout de suite, avant même qu’il y ait des écoles et des maîtres.
Ici, nous avons la chance d’avoir une école et quatre maître de valeur. Toutes les communes ne sont pas aussi bien loties. La moyenne est d’une école pour deux mille habitants. Deux mille, vous rendez-vous compte ?
Malgré cette situation favorable, les parents trouvent toujours un travail à faire à la maison, aux champs ou à l’atelier. Ils n’envoient pas leurs enfants à l’école ou trop peu, ou trop irrégulièrement.
-J’entends parler, dit Thérèse. Ce que vous dites est vrai mais il y a aussi ceux qui pensent que Monsieur Cabasson et les autres vont leur remplir la tête de politique.
La Révolution, disent-ils, ce n’est pas nous qui l’avons voulue, ce n’est pas nous qui l’avons faite mais c’est nous qui la subissons.
Quand il est question des droits des citoyens et du suffrage universel, il y en a toujours un pour dire : « Parlons-en du suffrage universel. Nous, en 91, nous étions tous pour rester avec le pape. On nous a quand même annexés ».
Je ne comprends rien en politique et, de toute manière, les femmes n’ont pas voix au chapitre. Cependant, quand je vois ce que je vois et que j’entends ce que j’entends, je me dis que rien n’a changé dans les têtes depuis 91. Les Valréassiens ne sont républicains qu’en façade. S’ils portent la cocarde, c’est pour ne pas être pris pour des brigands, des chouans, des royalistes. C’est par peur.
-Pourquoi vous emportez-vous, Thérèse ?
-Je ne m’emporte pas. Je vois seulement des gens plus malheureux qu’avant 89. S’ils regrettent le passé, c’est qu’ils sont saignés chaque jour d’avantage par les réquisitions. Ce n’est pas la République annoncée par les prophètes de la capitale.
-Ne nous égarons pas, Thérèse. Nous étions à parler de l’école et nous voici en train de refaire l’histoire. Ce sont des choses qui nous dépassent.
Moi aussi, comme vous, je suis souvent déçu de la manière dont se passent les choses. Moi aussi, j’ai la nostalgie du passé. J’ai l’impression que ceux qui ont dirigé depuis 89 le pays ont mis en marche une machine qui les a broyés un à un. Aucun survivant n’est capable de la ralentir, ni de l’arrêter. Quand elle aura épuisé son énergie, elle s’arrêtera d’elle-même. Il faut se montrer patient, très patient et regarder le ciel la nuit. Peut-être verrons-nous, un jour, briller une étoile qui nous annoncera la venue sur terre d’un nouveau messie.
-Vous y croyez vraiment… ou pensez-vous comme Antoine que ce sont les étoiles qui bougent ?
-J’y crois sans y croire. Il faudrait une sorte de roi pour sauver la République et ce n’est pas conciliable.
-Il faudrait un dieu voulez-vous dire ?
-En quelque sorte. Il faudrait un messie, un sauveur, quelqu’un qui soulèverait la nation d’enthousiasme.
-Et vous croyez que c’est possible ?
-Il est peut-être déjà là et nul ne le connaît encore.
-Vous m’avez reproché de m’emporter et c’est vous, François, qui vous exaltez.
-La République a de nombreux défauts, certes, et, moi-même, je l’ai combattue. Cependant, elle a tracé une ligne idéale faite de vertus essentielles. Cette ligne-là est un horizon à atteindre.
-Vous savez comme moi que l’horizon recule en même temps que nous avançons.
François sourit. Thérèse lui servit un verre de vin. La discussion politique était close.
« -Fameux, dit-il en faisant claquer sa langue sur son palais.
-Je pense bien : c’est la dernière bouteille papale. C’est du vin de 90. Maître Jean m’en avait offert quatre, ça fait bien deux ans déjà.
-Si son vin républicain est aussi bon que son vin papiste, il va falloir qu’il m’en vende un tonneau. »
Il tendit son verre vide et Thérèse lui en servit une nouvelle rasade.
« Tout à l’heure, quand vous avez pensé que je m’égarais, vous n’aviez pas tout à fait raison. Je venais de vous dire que les gens avaient peur qu’on mette dans la tête de leurs enfants des idées politiques. Alors, savez-vous où il préfèrent les mettre quand ils décident de les envoyer à l’école ?
-Je crois savoir : ils les mettent dans des écoles particulières.
-Parfaitement. Savez-vous combien il y en a à Valréas ?
- Huit. Je les ai récemment contrôlées avec Martin. Il faut voir ce que c’est !
Chez Louis Roque, âgé de quarante-cinq ans, nous avons trouvé dix-huit écoliers de sept à seize ans. Il leur apprend à lire, à écrire, les premiers éléments de la langue latine, la grammaire, la géographie par départements, les droits de l’Homme et la Constitution. C’est louable. Il n’y aurait pas à récriminer si les élèves ne s’entassaient dans une espèce de cave et s’ils n’avaient pour bureau que des morceaux de planches.
Chez François Louis Richaud…
-Le petit Richaud ?
-Lui-même.
-Il n’a que quinze ans.
-Il tient quand même une école. Chez lui, nous avons trouvé une vingtaine d’écoliers. Certains ont son âge ou guère moins. Il leur apprend seulement à lire et à écrire pour la bonne raison qu’il ne sait rien d’autre.
Chez Jean Toussaint Meyssette…
-Je connais sa femme. Elle est un peu plus âgée que moi.
-Lui a cinquante ans. Il a une trentaine d’enfants de sept à quinze ans auxquels il apprend seulement à lire, écrire et chiffrer. Etant donné sa clientèle, je pense qu’il doit se faire grassement payer.
-Sa femme est toujours très bien vêtue.
-Les belles toilettes, de nos jours, c’est de la provocation. Bref, l’époux assure le confort.
Chez Joseph Louis Colomb, qui a aussi une cinquantaine d’années, nous avons trouvé quatorze écoliers. Il leur apprend aussi à lire, à écrire et à chiffrer. Il leur enseigne encore les lois. C’est le seul qui était muni de l’acte constitutionnel et qui avait affiché les articles des droits et des devoirs dans son école.
-On fait donc de la politique chez eux aussi.
-Si connaître ses droits et ses devoirs est de la politique, tout le monde en fait…ou devrait en faire.
Chez le père de Monsieur Cabasson, Joseph Cabasson, qui avait déjà une école bien avant la République, nous avons trouvé une vingtaine d’écoliers de six à treize ans auxquels il apprend à lire, à écrire et à chiffrer.
-Seulement ?
-Il pense qu’il n’a plus le temps d’enseigner autre chose. Il enseigne l’essentiel, l’indispensable.
-On m’a dit qu’il ne se faisait pas payer.
-Pour lui, c’est une vraie vocation. C’est tout à fait ce qui conviendrait à Antoine, ajouta François malicieusement.
Chez lui personne ne bronche. La férule n’a pas de poussière. Un silence de monastère.
Après, nous sommes allés chez Elisabeth Imbaude. Elle a une quarantaine de petits de trois à neuf ans. Elle leur apprend seulement l’alphabet et à lire. Sa voisine Magdeleine Baraud s’occupe d’une vingtaine d’enfants de cinq à douze ans.
Mais je vous ai réservé le meilleur pour dessert : Guillaume Guerrignan. C’est un ancien soldat. Il est manchot. Il a perdu un bras dans je ne sais quelle bataille. Il a une vingtaine d’écoliers de cinq à neuf ans. Il ne leur apprend qu’à lire.
-Pourquoi ?
-Parce qu’il ne sait pas écrire. Il leur fait lire savez-vous quoi ? Les œuvres de Buffon. Les pauvres petits ! Des livres pour les savants !
Si l’école communale ne convient pas, Thérèse, il y a le choix entre tous ces endroits qui n’ont souvent d’école que le nom généreusement donné par l’opinion publique. »
Antoine était assis sur la traverse de la table. Il n’avait pas perdu un mot de cette conversation où son sort semblait se jouer. Plus que toute autre chose, il retenait que sa mère pouvait parler d’autres sujets que de son travail et il en était fier.
Il n’irait certes pas chez Cabasson père… Peut-être chez Cabasson fils… ou alors chez ce Guerrignan parce qu’il se prénommait Guillaume et qu’il apprenait à lire avec des livres pour les savants.
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