LEO REYRE
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 LA GLOIRE DU FILS 6

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Leo REYRE
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Leo REYRE


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MessageSujet: LA GLOIRE DU FILS 6   LA GLOIRE DU FILS 6 I_icon_minitimeMar 7 Sep - 10:58

LETTRE IMAGINAIRE DE MARCEL A JOSEPH

Cher père,
Tu as vu comme je suis beau !
Puisque je sais que tu as vu ma photo avant de lire ma lettre et que tu dois encore l’avoir devant toi, sur la table, c’est uniquement d’elle que je veux t’entretenir. D’abord, essuie un peu les verres de tes lunettes : l’émotion, ça fait toujours de la buée.
Cet habit est superbe mais il fait un peu Second Empire et mon sourire n’est sans doute pas très naturel. Ça fait au moins une demi-heure qu’on me fait prendre des poses de mannequin : Un coup, c’est trop raide, un coup, trop simple, une autre fois, ce sont les bras qui sont mal placés, après ce sont les mains. Quand tout irait à peu près bien, le nez me gratte, j’éternue, je cligne des yeux.
Depuis un long moment, les photographes m’exaspèrent comme si Jules, de depuis son étoile, leur avait soufflé à l’oreille de le venger pour toutes les scènes où il était merveilleux, mais que je faisais sans cesse reprendre, non pas pour le mettre sur les nerfs, mais parce que je me régalais tellement que j’en redemandais par simple gourmandise.
Je sens qu’ils le font exprès. Mais comme je ne veux pas leur montrer mon impatience, je joue à qui craquera le premier.
Depuis un moment, je ne regarde plus le petit oiseau qui va sortir de leurs boîtes à souvenirs. Leur petit oiseau, ça fait bien dix minutes qu’il s’est envolé mais ils ne s’en sont pas aperçus car ce ne sont pas des poètes mais des professionnels. Alors moi, ça m’amuse de suivre le vol de ce petit oiseau qui vient de les prendre pour des imbéciles. Voilà pourquoi j’ai cet air hilare et ce sourire un peu de biais.
Et si tu regardes un peu mes yeux avec ta loupe d’herboriste, tu y verras quelque chose d’autre : une vieille photo de famille, quand il y avait encore notre chère Augustine, notre cher Paul. Tu y verras l’enfant que tu as si bien aidé à grandir. Et même si cet enfant-là a troqué l’habit à col marin des grandes vacances contre ce splendide habit vert, c’est toujours Marcel, ton Marcel.
Le cœur, ça se fatigue mais c’est ce qui change le moins.
Autre chose qui n’apparaît pas sur ce cliché mais qu’il faut que je te raconte, c’est l’épée, cette épée qui confirme que ce n’est pas un habit que je porte mais un uniforme. L’Académie Française est un ordre guerrier mais ça, je l’ai toujours su ; dans ta classe, quand tu parlais de Richelieu, le fondateur de l’Académie, et que tu nous disais que c’était un cardinal, ce qui me surprenait toujours, c’est cette épée qu’il avait toujours sous sa soutane.
Cette épée, c’est le Cinéma Français qui me l’a offerte dans les studios de Joinville, et Jouvet, qui a prononcé le discours de circonstance a parfaitement réussi son numéro d’acteur : il m’a fait pleurer, cet idiot. Un vrai mélodrame dans lequel on a la gorge serrée mais où percent de temps à autre des grands éclats de rire.
Un studio, je n’irai pas jusqu’à dire que c’est comme une église. La pénombre silencieuse d’une église, ça fait réfléchir à des choses graves. Le studio, ça ne fait guère réfléchir ; c’est un lieu où le mot clef est : « action ». Eh bien, quand Jouvet a pris la parole, j’ai fermé les yeux : je me serais cru dans une église. Tout le monde souriait, fumait sa pipe ou sa cigarette. Moi, je pensais à la famille, à Jules, à toute l’équipe ; j’avais un peu honte de tous ces honneurs et je me serais mis dans un trou de rat.
Pourtant, tu me connais, ce n’est pas mon genre. Les honneurs, ça n’a rien d’humiliant. Cependant, ça fait un drôle d’effet quand on entend sa propre louange dans la bouche d’un tel artiste.
Cette épée donc est très spéciale. Forcément puisqu’elle est unique et n’appartient qu’à moi.
L’orfèvre a ciselé sur le pommeau les masques de la comédie et de la tragédie ainsi que la pellicule cinématographique. Sur la garde est sertie une topaze dans une croix de Malte qui est le symbole du cinéma. C’est une merveille mais je crois que je ne m’en servirai pas souvent.
Voilà, mon cher père, tu sais tout.
Je pense m’octroyer quelques jours de vacances dans la première quinzaine de mai. J’en profiterai pour aller respirer un peu l’air des collines et, par la même occasion, je te montrerai tout : l’habit, l’épée et le bicorne.
Mais ne compte pas me promener dans le village avec. Tant pis si tes amis joueurs de boules ne te croient pas quand tu leur diras : « C’est mon fils Marcel de l’Académie Française. »
Du coup, je n’ai parlé que de moi, comme toujours. D’ailleurs je me demande si les lettres n’ont pas pour unique raison de parler de soi. Si je te demande comment tu vas, je ne le saurai qu’à ta prochaine lettre, quand tu me parleras de toi.
Nous pourrions nous téléphoner ; ce serait plus moderne mais je sais que tu n’y tiens pas. J’ai bien compris ta leçon : Une lettre, on peut la lire autant de fois que l’on veut. Les paroles qui passent par des fils et qui grésillent dans les oreilles, ça fait la part trop belle à l’oubli.
Je te souhaite une très bonne santé (chose que tu me confirmeras dans ta prochaine lettre).
Ton fils Marcel de L’Académie Française.



NARRATEUR

L’œuvre Théâtrale et cinématographique De Pagnol est une sorte de chaîne de montagnes qui ne comporterait que des sommets. Raimu-César, Raimu-Aimable, Raimu-Pascal, Fernandel-Saturnin, Fernandel-Gédémus, Fernandel Irénée, Fernandel-Toine, Fernandel-Félipe.
Plusieurs sommets, deux noms.
En effet, le génie de Pagnol est dans ces deux personnalités hors normes qu’il a su dérober aux revues et au music-hall pour en extraire « la substantifique moelle ».
Trop souvent, on a cherché à établir des comparaisons entre Raimu et Fernandel. C’était comparer l’incomparable.
D’ailleurs Pagnol n’a jamais cherché à les comparer.
L’un est le père ou le mari avec son cœur et son caractère soupe-au-lait.
L’autre est toujours le vieux garçon, simple, naïf et profondément humain, l’amoureux sans espoir.

LETTRE DE MARCEL PAGNOL A FERNANDEL

Mon cher Fernand, J’ai la grippe : ne viens pas me voir, car je te la donnerais sans la perdre. Mais dans deux ou trois jours ça ira mieux et je voudrais déjeuner ou dîner avec toi. Nous avons à parler longuement. La mort du grand Jules pose de grands problèmes et t’impose, à toi personnellement, de grands devoirs. Il faut que nous ayons une longue conversation.
Je t’annonce que le succès du Puisatier, à New-York, dépasse celui du Boulanger. La presse porte le film aux nues. Angèle et Regain sont annoncés.
Je t’embrasse
Marcel

NARRATEUR

« Toute ma vie, Raimu, ça a été une pierre dans mon soulier, avouait Fernandel avec une vraie modestie.
J’ai toujours entendu dire : »Les plus grands comiques français sont : numéro1 : Raimu, numéro 2 : Fernandel ».
Après la première du Schpountz, un ami m’a annoncé triomphalement : « Fernand, avec ce film, maintenant, c’est toi le numéro 1.
J’ai demandé : et Raimu ?
Il m’a répondu : Oh ! Lui, il est hors concours. »

MARCEL PAGNOL

Moi, je n’ai pu les réunir dans le même film que dans « La fille du puisatier ». Et la jalousie qu’ils entretenaient chacun vis-à-vis de l’autre, je m’en suis servi assez souvent.
Quand Raimu me disait : « Demain, je ne peux pas tourner, j’ai des affaires à régler à Marseille », je lui disais : « Ça ne fait rien, Jules. Et même ça tombe bien, justement j’ai des gros plans de Fernand à faire. Nous en profiterons ».Jules ne disait rien. Mais le lendemain, il était là.
« Tes affaires que tu devais régler à Marseille ?
-J’ai réfléchi…Ça peut attendre. »
Je dois reconnaître que Jules était plutôt plus vicieux que Fernand.
Un jour, nous tournions dans la cuisine du puisatier. Le puisatier et son aide se lavaient les mains dans l’évier avant de se mettre à table. Un travelling avait été prévu, qui amenait la caméra jusqu’à un gros plan de Fernandel au moment où il se retournait pour faire un compliment à Josette Day.
A chaque fois que la caméra arrivait à cinq centimètres du visage de Fernandel, Raimu, par un geste, un bruit de la gorge, s’arrangeait pour que la prise soit ratée.
A la dixième fois, je me mets en colère.
« Dis-le, Jules, que ça t’embête qu’on voie Fernand en gros plan.
-Moi ? tonne Raimu. Tu peux bien en faire toute la journée des gros plans de Fernandel. Non seulement ça ne me gêne pas, mais ça me fait le plus grand plaisir. »
Puis soudain, me faisant les gros yeux comme s’il était scandalisé par la noirceur de mes pensées :
« Toi, j’ai compris ! Tu veux me faire fâcher avec Fernand ! »

JOUÉ

Le puisatier : Ce que tu m’as dit, en mangeant, de ma fille, j’y ai pensé tout l’après-midi. Oui, en tirant les couffins d’en haut, j’y ai pensé. Et au fond, en tirant la barre à mine, j’y ai pensé.
Félipe : Moi aussi, j’y ai pensé.
P : Un jour, il faudra qu’elle se marie.
F : C’est la nature qui le veut.
P : Mais toi, quand tu en as parlé, tu avais une idée de derrière la casquette. Tu m’as dit « quelqu’un de votre métier ». Et puis « qui habite pas loin de chez vous ». Tu as peut-être voulu parler de quelqu’un dans ton genre ?
F : Hé oui, j’ai voulu parler de quelqu’un dans mon genre.
P : Moi, franchement, un homme comme toi, ça me plairait. Et je vais te dire pourquoi : tu es de mon métier. Tu connais les pierres, tu connais la poudre, tu sais où il faut faire la mine ; et puis tu sais piocher. Je t’ai jamais vu casser le manche d’un pic. Et ça, c’est la marque d’un vrai mineur. Alors moi, si tu étais le mari de ma fille, tu me remplacerais un peu le garçon que j’ai pas pu avoir. Et à toi, je te donnerais tous mes secrets, les secrets des vieux puisatiers qui me viennent de mon grand-père. Et lui, c’était un bohémien qui les lui avait donnés, un soir, sous un pin, au bout d’une colline pointue. Parce qu’il n’y a pas que la montre. Il y a aussi d’autres choses, des choses que je fais quand je suis seul, le matin, avant que tu arrives. Ce sont les secrets. Et toi, tu le comprendrais, si je t’expliquais, parce que tu es un bon homme. Moi, j’ai jamais rien eu à te reprocher, à part tes idées sur la baguette.
F : Oh ! Mais je les ai plus, mes idées sur la baguette. Depuis tout à l’heure, je les ai plus.
P : Mais tu as la baguette dans ton carnier.
(Félipe tire la baguette de son carnier, la brise et la jette au loin)
P : Maintenant, j’ai plus rien à te reprocher. Et si ma fille était une fille comme les autres…Seulement, dans le fond, elle n’est pas du tout dans notre genre. Tu me comprends ?
F : Hé oui, je vous comprends.
P : Elle parle français, avec l’accent français, comme un ministre. Elle mange avec la fourchette…
F : Oh ! mais moi, ça ne ma gêne pas de manger avec la fourchette.
P : Je sais…Je sais. Tu es moderne. Mais elle, elle est tout le temps à se laver les mains, et à se coiffer, et à se coudre des robes. C’est un princesse, tu comprends ?
F : Oh ! Ça oui ; c’est une princesse.
P : Tu te vois, toi, d’être le mari d’une princesse ?
F : Je m’y vois pas bien mais j’en ai envie.
P : Seulement, si je te la donne pas, je risque de la perdre en plein.
Et imagine un peu qu’un jour, ici, il passe un prince ? S’il la voit –Ah ! Canaille- et me la prend, il se la marie et il me l’emporte dans un palais d’Amérique ou de Toscane, et je ne la vois jamais plus…
F : Heureusement, des princes, il n’y en a plus guère.
P : Tant mieux ! Mais il y a des officiers, des médecins, des dentistes, des percepteurs…Il faut se méfier…
F : Oh ! Oui, il faut se méfier. C’est pour ça que si elle était mariée- avec moi- ça ne risquerait plus rien.
P : Ça, c’est vrai parce qu’elle est honnête comme l’eau de source : si elle te disait « oui », ça serait « oui » pour toujours.
F : Oh ! Canaille ! si elle disait « oui » !
P : Et pourquoi pas ? Seulement toi, tu parles de te marier mais il faudrait savoir si tu as des économies.
F : J’ai les économies, et puis, j’ai autre chose : j’ai fait un héritage.
P : Tu as fait l’héritage ? Il est gros ?
F : Dix-huit mille francs. Ma tante de Rognac. Elle est morte il y a six mois et, avant-hier, le notaire m’a donné 18 000 francs, et comme j’avais 13 000 francs d’économie…
P : Tu as trente et un mille francs ?
F : Non, trente, parce que j’ai acheté l’automobile.
P : Tu as l’automobile ? Oh ! Vierge sainte, il a l’automobile ! Tu l’as payé combien ?
F : 800 francs et 200 francs de réparation : ça fait mille.
P : Mille francs pour l’automobile ? Quand même, il doit pas être bien gros ?
F : bien sûr ; ce n’est pas un car. Mais enfin, elle a deux places et elle marche. Elle fait un peu de bruit, mais elle marche.
Et puis, ma maison est à moi et à ma sœur, et c’est à côté de chez vous.
P : Félipe, moi j’ai une amitié pour toi. Et puis, surtout, je ne veux pas perdre ma fille, alors je t’aiderai, c’est possible. Seulement, il faut d’abord savoir si ça lui plaît à elle.
F : Hé ! Oui, il faudrait savoir. Vous voulez pas lui en parler ?
P : Oh ! Moi, non§ Dieu garde ! Je lui donnerais bien une gifle s’il fallait. Mais lui parler de ça…Oh ! Non. J’ai honte.
F : Moi aussi, j’ai honte.
P : Toi, tu as dix kilos de cheddite dans le carnier, qui peut faire sauter toute la ville, et tu as peur de parler à la fille ?
F : J’essaierai. Même si vous voulez, j’essaierai demain.
P : Tu viendras à la maison ?
F : Demain, il y a une grande fête d’aviation à Salon. J’ai un ami qui est mécanicien à l’école de l’air. Il m’a donné les billets. Alors, si vous voulez, demain je viens la chercher avec l’automobile.
P : tu sais conduire ?
F : J’ai appris au service militaire : je menais les camions.
P : Oh ! Alors c’est facile pour toi. Surtout que de main, c’est dimanche et puis elle aura le chapeau. Ça sera très joli. Alors, là-bas, tu peux lui parler. Tu lui fais boire la bière, la limonade, et puis tu lui parles. Moi, j’ai fait comme ça pour sa mère. Pour te dire la vérité, moi, j’avais aussi peur que toi. Parce qu’elle était belle, sa mère.
F : Elle était aussi belle qu’elle ?
P : Oh ! Là ! Là ! Elle était bien plus belle ! Si tu l’avais vue. La petite, elle est jolie, mais sa mère ! C’était une femme comme ça. Elle avait des reins comme un jument de cinq mille francs !


LETTRE IMAGINAIRE DE MARCEL A JOSEPH

Mon cher père,
Ce n’est pas que je me sente tari depuis la disparition de Jules, mais j’ai perdu le goût du rire. Je n’arrive plus à trouver des personnages joviaux, truculents et, en même temps, d’une extrême humanité.
Quand j’avais Jules sous la main, c’était facile : je l’écoutais, je l’observais. Il était un de mes personnages avant même que je le sache.
Quand j’ai fait la Femme du Boulanger, par exemple, le boulanger, c’était le petit Maupi. Je le voyais bien dans ce rôle.
Je voulais faire un film court, d’une trentaine de minutes. C’était pour Maupi, comme j’avais écrit Joffroi pour Scotto, Merlusse pour Poupon ou Cigalon pour Arnaudy.
J’écris le scénario, les dialogues et je les envoie à Maupi. Le lendemain, il me téléphone.
« C’est beau, Marcel. C’est très beau. C’est même trop beau pour moi. Je n’ai pas les épaules, moi, pour jouer un personnage comme ça. Je serai fier toute ma vie que tu aies pensé à moi pour le jouer. Mais je vais te dire : c’est un rôle pour Jules. Je sais qu’il est libre. Il sera extraordinaire. »
Maupi avait raison. Il avait compris avant moi.
J’ai envoyé l’histoire à Jules. Il l’a tournée et il a été extraordinaire. On dit même que c’est dans ce rôle qu’il a atteint le sommet de son art.
J’ai peur, maintenant, de trouver des acteurs qui voudront faire comme Jules, qui le singeront dans ses colères et qui se prendront pour des Jules II alors qu’ils ne sont et ne seront jamais que des sous-Jules.
Je referai sûrement quelques bricoles avec ce qui reste de l’équipe car il m’est impossible de les laisser tomber après tout le bonheur qu’ils m’ont donné.
Pour me changer les idées, j’ai commencé une traduction d’ Hamlet. C’est un travail de galérien. Je m’aperçois que je n’ai pas oublié mon anglais, ce qui me ramène à la case départ : celle du Lycée Condorcet.
Je pense que c’est une nouvelle qui doit te rassurer.
Quand ce travail sera plus avancé, j’ai l’intention de suivre ton conseil : J’irai passer quelques jours dans les collines, histoire d’égrener ensemble le chapelet des souvenirs. C’est très agréable parfois de se retrouver petit garçon …Et puis, c’est collines m’ont toujours fasciné. J’aurais voulu y construire la cité du Cinéma. Je j’aurais fait sans cette guerre.
J’y retrouverai peut-être mon enfance mais j’y entendrai encore plus certainement Jules et Fernand devisant près du puits, Henri Poupon, Delmont, Blavette près de la ferme d’Angèle et, à Aubignane, sur les barres de Saint-Esprit, je verrai probablement passer, devant la maison de Panturle, Arsule et Gédémus le rémouleur.
Comme tu peux le constater, j’ai le moral breton. On est loin du grand beau soleil sur notre cher Vieux-Port.
Je suis un peu comme le Toine de Naïs : la grand-mère est partie et il me reste la bosse.
Je t’embrasse affectueusement.
Marcel.

JOUÉ

Je vais vous dire, Madame Rostain, quand j’étais petit, mes parents m’adoraient. Et surtout ma grand-mère. J’étais comme je suis naturellement.
Et moi, je savais pas, enfin, je veux dire je savais pas la différence qu’il y avait avec les autres. La bosse, c’est traître, ça vous vient par derrière, on ne la voit pas. Chez les paysans, y a pas d’armoire à glace et on se voit dans les yeux de sa mère, et, naturellement, on s’y voit beau. Un jour, un voisin qui était très gentil m’a dit : Oh ! Le joli petit bossu !
Alors, j’ai demandé à ma grand-mère qu’est-ce que c’est un bossu.
Alors, elle m’a dit : c’est vrai que tu es un joli petit bossu parce que tu as un peu le dos rond et c’est parce que tu n’es pas comme les autres qu’on t’aime beaucoup.
Alors, elle m’a chanté une vieille chanson que je me rappelle pas la musique, mais les paroles, ça disait comme ça :
Un rêve m’a dit une chose étrange,
Un secret de Dieu qu’on n’a jamais su :
Les petits bossus sont de petits anges
Qui cachent leurs ailes sous leur pardessus.
Voilà le secret des petits bossus.
C’est joli mais c’est pas vrai. Moi, j’y ai cru jusqu’à dix ans.
Je croyais que les ailes me poussaient. Alors, souvent, ma grand-mère elle me chantait la chanson qui était beaucoup plus longue que ça.
Seulement, les grands-mères, Madame Rostain, c’est comme le mimosa : c’est doux et c’est frais et c’est fragile.
Un matin, elle n’était plus là.
Un bossu et une grand-mère, tout va bien : on peut chanter. Mais un petit bossu qui a perdu sa grand-mère, c’est un bossu tout court.
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LA GLOIRE DU FILS 6
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