CHAUD VIN DU TERROIR
Ça y est ! Les bondes ont sauté,
Les vannes se sont épanchées.
Il envahit places et rues
Le vin en crue.
Il monte en bouteille et, bientôt,
Franchit le goulet du goulot.
Il faut être un verre averti
Pour le capter quand il jaillit.
Chacun le mire à la chandelle
Pour admirer sa robe belle
Et ses reflets et ses froufrous
Que l’on devine par dessous.
Puis on passe son nez dessus
Pour s’enivrer de ses vertus.
Puis, de la langue et du palais,
On fleurette son corps de fée.
Enfin, merveille des merveilles,
Son chant parvient à nos oreilles.
C’est un hymne qu’avec entrain
On entonne un verre à la main.
« Prouvençau, veici la coupo… »
La voix du vin couvre le groupe.
Par Bacchus et par Saint-Vincent !
Il a gardé son bel accent,
Cet accent qui met aux paroles
Des ailes pour qu’elles s’envolent
Et confient à notre mistral
L’âme du pays provençal.
CHER GEORGES
Depuis le temps qu’elle te guettait,
Quelle te faisait des croche-pieds
La mort a fini par t’avoir,
Par te montrer tout son pouvoir.
Tes pointes à peine mouchetées,
Ton ironie, tes pieds de nez,
Tes allures de bon vivant,
Tes bras d’honneur dans tous tes chants,
Quoi de plus pour fâcher la mort,
La mort et qu’elle perde le nord.
Vingt ans qu’elle t’a enlevé
Vingt ans qu’elle te tient prisonnier…
Pas de demande de rançon,
Pas de dépôt de conditions…
Vingt ans qu’elle essaie de tirer
En vain quelques vers de ton nez.
Si tu étais moins cabochard,
Tu l’éclairerais sur ton art,
Tu lui demanderais pardon,
Tu cèderais sous l’édredon.
Vu qu’elle est plus têtue que toi,
C’est pas demain ni dans un mois
Qu’elle te dira : « Fais demi-tour.
C’était un aller et retour. »
Vingt ans de retard à l’horloge,
C’est pas folichon , mon cher Georges.
Faudrait revenir au métier,
Rendre le branle au balancier…
A moins que tu sois sans remords,
Que tu sois bien avec les morts,
Que tu réserves tes chansons
Les plus belles à François Villon,
Que tu aies rendu par tes mots
Enfin un sexe aux angelots.
Il faut remonter à Jésus
Pour en voir un qui est revenu.
Il y a peu de chance, c’est certain,
Que tu sois le prochain.
Pourtant, s’il te plaisait de revenir
Ou si la mort te laissait fuir,
Tu ferais un sacré tabac
Dans ton come back.
C’est dire des choses pour rien,
Diront les choses, les machins,
Les non-pensants et les sceptiques,
Les untels , les catégoriques.
Peut-être bien qu’ils ont raison
Mais qu’ils sachent en péroraison
Que mes chrysanthèmes à Toussaint
Ont fleuri pour Georges Brassens.
Vingt ans déjà qu’il est parti
Chanter en d’autres compagnies,
Vingt ans qu’il vit, comme c’est bizarre,
Comme un vivant dans nos mémoires.
A FLEUR DE COEUR
Quels que soient temps et saisons,
Les fleurs aux tons multicolores
Que le soleil irise et dore
Sont le sourire des maisons.
Bien avant que le portail s’ouvre,
Elles offrent aux visiteurs
Un échantillon de bonheur :
C’est un peu leur cœur qui s’entrouvre.
Sans les fleurs, les pierres sont grises,
Les murs froids, les maisons austères,
Tout est réduit, sec, lapidaire
Comme un esprit que rien ne grise.
Mais quelques fleurs sur la terrasse,
Une bordure dans l’allée,
Un massif fleuri, une haie
Où les parfums trouvent leur place,
C’est chaud comme l’est l’amitié,
Celle qui germe et prend racine
Et croît en touffes qui dessinent
Autour de soi des cœurs mariés.
Les fleurs ont toutes leurs langages
Nourris par de beaux sentiments
Et leur palette court souvent
De l’amour fou à l’amour sage.
Et l’humble marguerite même
Que tant d’amours ont effeuillée,
Dans le jardin ensoleillé,
Nous dit encore : « Je vous aime ».
Une maison toujours fleurie,
C’est un miroir où se reflète
Le bonheur dont sa vie est faite :
Les fleurs chantent son harmonie.
LA MERE
Elle a, pour la combler d’émoi,
En elle un second cœur qui bat.
En elle, une autre vie butine
Des fleurs d’amour les étamines.
Avant que naisse son enfant,
Elle lui parle, elle le berce,
Elle l’endort de ses caresses
Et du murmure de ses chants.
Il est à elle sans partage,
L’enfant lié à son ancrage.
Pour elle, est-ce la délivrance,
L’instant crucial de la naissance ?
Le jour où se sépare d’elle
Son fruit, son ange, sa merveille,
C’est aussi un peu de son cœur
Qui se détache et elle a peur.
Lorsque son enfant vient au monde,
A l’instant - même, à la seconde,
Elle perd l’exclusivité
De l’être qu’elle a abrité.
Alors commence un long parcours
Qu’elle, pourtant, trouvera court .
Elle dira : « Il a dix jours »,
« Il aura un an dans dix jours »,
« Demain, il commence l’école »,
« Déjà dix ans ! Je deviens folle »,
« Il fait un stage de six mois »,
« Vingt ans, mon Dieu ! Vingt ans déjà ! »,
« Il a déjà quelques fils blancs »,
« Trente ans, mon Dieu ! déjà trente ans ! »,
« Ça y est : je vais être grand-mère ! »,
« Il me semble que c’était hier… »
Premier duvet, plumes nouvelles,
Trop tôt l’oiseau déploie ses ailes,
Trop tôt l’enfant prend son essor,
Trop tôt l’enfant quitte le port.
Lorsqu’il revient au bord du nid,
C’est un moment qu’elle bénit.
C’est l’eau qui revient à la source,
Le temps qui interrompt sa course.
Elle est alors joie et bonheur
En retrouvant son second cœur.
MON PASSE INDEFINI
Le Briard adore ses blés,
Le Savoyard ses pâturages,
L’Ardéchois ses vieux châtaigniers,
Le Breton son granit sauvage.
L’amour que l’on porte au pays
Où le hasard nous a fait naître,
Nous le fait voir d’un œil ravi
Dès qu’il jaillit sous nos fenêtres.
C’est un lien presque parental
Qui nous lie au pays natal.
Quand la vie, ailleurs, nous transplante
C’est pour un temps, quelques années ;
Mais, toujours, celui qui s’absente
Revient où ses pas ont passé.
Les rues pentues, la vieille école,
Lointains visages, souvenirs,
Le passé reprend la parole
Alors qu’on l’avait vu s’enfuir.
Les pas qu’on laisse sur le sable
Disparaissent en peu de temps.
Il est si fin et si friable
Qu’il suffit de très peu de vent.
Mais les pas qui, partout, sillonnent
Les chemins de nos souvenirs,
Défient tempêtes et cyclones
Qui viendraient à les assaillir.
Ils sont là traversant la place,
Ils courent jusqu’à la Grand-Rue,
Ils piétinent et d’autres traces
Vers un portail fermé confluent.
Est-ce l’école ou le collège ?
Sans doute les deux à la fois.
L’avantage du sortilège,
C’est de se revoir plusieurs fois.
Est-ce l’enfant de maternelle
Qui pleurniche sur son goûter ?
Ou l’élève qui se rebelle
Contre une injuste autorité ?
Ou bien ce collégien timide
Qui s’inquiète de son acné ?
Ou cet ado un peu stupide
Qui va d’amours en amitiés ?
Ces pas sont tous en plusieurs fois
Ceux d’un fantôme qui fut moi.
Quand on est fidèle à ses rues,
Il faut s’attendre à la visite
De ce personnage insolite
Qu’on a laissé à chaque mue.
A tout moment l’on disparaît
Et reparaît, jamais le même.
C’est un étrange phénomène :
Le présent passe sans arrêt.
Bénies soient les photographies :
Elles sont la preuve certaine
Des fantômes que l’on égrène
Au fil du temps et de la vie.
Ils sont d’abord petits, petits,
Puis ils grandissent, se rapprochent.
Images de nous inouïes
Tantôt si loin, tantôt si proches.
PROTHESES
Les jambes, il faut en avoir deux,
Deux qui marchent du même pas.
J’en avais une pas très sympa
Qui rechignait à chaque pas.
Je n’ai fait ni une ni deux
Car le lot valait bien l’enjeu.
On m’implanta une prothèse
Depuis je marche et cours à l’aise.
Les yeux, il faut en avoir deux,
Deux qui nous servent de compas
J’en avais un qui n’allait pas.
Mon œil, ne m’abandonne pas !
Je n’ai fait ni une ni deux
Car le lot valait bien l’enjeu
On m’implanta une prothèse
Depuis j’épie, je scrute à l’aise.
Les oreilles, il en faut deux,
Deux qui vibrent au son d’un pas.
J’en avais une qui n’allait pas,
Qui confondait hymne et nouba.
Je n’ai fait ni une ni deux
Car le lot valait bien l’enjeu.
On m’adapta une prothèse
Depuis j’entends la Marseillaise.
Le cœur, Ah ! Si j’en avais deux !
J’en ai un seul qui bat, qui bat
Et que je trouve assez sympa.
Si je vivais du cœur d’un mort
J’aurais le cœur plein de remords.
LES BRAISES ET LES CENDRES.
Furent-ils gris ou noirs,
Roses ou bleus
Nos jours qui couvent sous la cendre ?
Nous faisions en ces temps anciens
des rêves ensemble.
Furent-ils roses ou gris,
Noirs ou bien bleus,
Nos jours de mai ou de décembre ?
Plus les souvenirs sont anciens,
Plus ils sont tendres.
Furent-ils bleus ou gris,
Roses ou noirs,
Ces jours que le temps désassemble ?
Les braises des tisons anciens
Croulent en cendres.
Ils furent gris,
Ils furent Noirs,
Ils furent bleus,
Ils furent roses,
Comme sont les jours à deux cœurs.
L’orage a eu raison des fleurs.
Je n’oublierai jamais les roses.
EXTASE
Je suis de ceux qui s’extasient
Quand novembre jaunit les hêtres
Et empourpre monts et maquis.
Tiens, un moineau sur ma fenêtre.
Je suis de ceux qui s’extasient
Quand le givre gaine les branches,
Lorsqu’à l’an neuf boule le gui
Dans la campagne toute blanche.
Je suis de ceux qui s’extasient
Quand un papillon, une abeille
Tournoie sur les buissons en cris
Quand la nature se réveille.
Je suis de ceux qui s’extasient
Quand la mésange charbonnière
A l’appel pressant des petits
Fourrage l’écorce d’un lierre.
Je suis de ceux qui s’extasient
Quand, au soleil, fifres, cymbales
Bercent la sieste des taillis
Dans un orchestre de cigales.
Je suis de ceux qui s’extasient
Quand la pluie d’étoiles filantes
Me tient au jardin dans la nuit
Encore chaude et grillonnante.
Je suis de ceux qui s’extasient.
PREMIERE SEVE
Le gris du ciel n’est plus morose
Et le soleil fait des clins d’œil.
La forêt quitte enfin le deuil.
Le printemps est là. Ça s’arrose !
Il restitue l’esprit aux choses.
Les haies vives gonflent d’ébats.
Le jardin se métamorphose,
Se trémousse de haut en bas.
Le gris du ciel n’est plus morose
Et, les sourires revenus,
Les fenêtres se sont décloses
Sur des amours inattendus.
CHANSON D'AUTOMNE
Il arrive à tout petits pas
Mais qu’on ne s’y trompe pas :
Il est sur nous, il est bien là,
L’automne.
Encore quelques très beaux jours,
Un clin d’œil, un petit détour…
C’est le temps qu’il faut pour
Les pommes.
Un petit jour dans le brouillard,
Un matin au soleil blafard
Qu’un bel après-midi flambard
Pardonne.
C’en sera fait dans peu de temps
Du bel été qu’on aimait tant.
J’entends déjà les premiers chants
D’automne.
Il s’insinue dans le jardin,
Aigail sur l’herbe le matin,
Sur les roses et les lupins,
L’automne.
Le poète dit : « Voici le temps
Où se meurt ce que le printemps
Apporta en ouvrant ses ailes. »
Tristes propos, mots désolants !
L’automne est un second printemps,
Même s’il n’y a plus d’hirondelles.
RENTREE
Rire au dehors, larme au dedans,
Un enfant s’en va à l’école,
Le cartable sur les épaules,
La main dans la main de maman.
Rire au dehors, larme au-dedans,
Son petit cœur inquiet s’affole.
Ah non ! Ce n’est pas très drôle
La rentrée quand on a six ans !
Rire au dehors, larme au-dedans,
Chaque pas qu’il fait le désole :
Si j’avais au moins la rougeole
Ou simplement un mal de dents.
Rire au dehors, larme au-dedans,
L’enfant se sent une envie folle
De suivre au ciel l’oiseau qui vole,
Et de s’enfuir à travers champs.
Rire au dehors, larme au-dedans,
Le masque rit, le cœur flageole.
Comédien pour son premier rôle,
Il entre en scène cœur battant
Rire au dehors, larme au-dedans,
Un enfant arrive à l’école,
Le cartable sur les épaules
Avec, au fond, un mouchoir blanc.
DANS TES YEUX CLAIRS
J’ai vu, dans tes yeux clairs, sourire les aurores
Et, radieux, s’entrouvrir l’éventail du soleil.
J’ai vu, dans tes yeux clairs plus d’azur que le ciel,
Les nuages s’enfuir et les roses éclore.
J’ai vu, dans tes yeux clairs, l’amour providentiel
Eclater au printemps en fleurs multicolores.
J’ai vu, dans tes yeux clairs, les flammes que j’adore,
Plus chaudes que le feu, plus douces que le miel.
J’ai vu, dans tes yeux clairs, la rosée de tes larmes
Rouler sur ton bonheur en perles de cristal.
J’ai vu, dans tes yeux clairs, des reflets de métal
Qui ont strié mon cœur de poignantes alarmes.
J’ai vu, dans tes yeux clairs revenir au galop
Le sourire exilé à l’instant d’un sanglot,
Et j’ai vu reparaître, au fond de tes yeux clairs,
L’oiseau bleu du bonheur qui avait fui l’éclair.
J’ai vu plus que cela en plongeant dans tes yeux :
J’ai vu la vie, la joie. Je crois que j’ai vu Dieu.
AVRIL
Avril en manteau d’Arlequin
Change d’humeur soir et matin.
Il neige, il pleut, il grêle, il vente
Mais au jardin un oiseau chante.
Avril en manteau d’Arlequin
Préfère au jour son lendemain.
Un enfant rit, un autre pleure…
Le gai printemps se rie des heures.
Avril en manteau d’Arlequin,
Folâtre et fantasque pantin,
Transforme tout à la minute.
Pluie ou soleil ? C’est la dispute.
Un coup de vent, un coup de poing…
On sait qu’il fera beau… demain.
Le jour grandit, la vie est belle !
Avril dans la tarentelle.
Un oiseau chante ce matin.
Son chant est clair, pur, cristallin.
Une pervenche, dès l’aurore,
Ouvre un œil bleu timide encore,
Puis elle suit dans le matin
Avril en manteau d’Arlequin.
LA VIOLETTE
J’ai retrouvé dans le grenier
Dans une mallette oubliée
Sous la poussière,
Un paquet de lettres lié
D’un long ruban rose et violet
Par ma grand-mère.
J’ai dénoué le vieux ruban
Et j’ai lu, le cœur palpitant,
Deux ou trois lettres.
Un soldat parlait du retour,
C’était rempli de mots d’amour
Et de peut-être.
Il allait bientôt revenir
Et, sur son cœur, enfin tenir
Sa tendre aimée.
C’était en juillet-août 18
Après, plus rien. La mort, la nuit
A tout jamais.
Dans un pli du papier jauni,
Ayant survécu à l’oubli,
Il y avait une violette
Et, sur les mots un peu pâlis
Où il parlait, comme ébloui,
Des armes,
Le papier avait conservé
La trace amère et désolée
Des larmes.