LEO REYRE
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 LE CHEMIN DE BARBARAS (suite 8)

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Leo REYRE
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LE CHEMIN DE BARBARAS (suite 8) Empty
MessageSujet: LE CHEMIN DE BARBARAS (suite 8)   LE CHEMIN DE BARBARAS (suite 8) I_icon_minitimeLun 12 Avr - 12:27


LE JOUR OU BAPTISTE FUT ASSASSINE

« Allons enfants de la patri-i-e ! »
Ce chant inattendu et sonore fit l’effet de la foudre. Les conseillers, réunis par François Aubrespin entendre son compte-rendu sur l’affaire Philibert, sursautèrent.
Guillotine se tenait sur la tablette d’appui de la fenêtre ouverte. Elle scandait son refrain en balançant nerveusement sa tête grise.
Loin de déclencher les rires, cette intervention intempestive figea l’assemblée. Les rides se creusèrent sur les fronts.
Tous comprirent qu’il avait dû survenir quelque malheur à Baptiste.
On leva la séance et, qui à cheval qui en calèche, on se précipita à la bergerie de Besson. Le premier qui poussa le portail découvrit le carnage : Baptiste pendu à une poutre, la plante des pieds brûlée puis, contre le mur éclaboussé de sang, son chien, la tête fracassée.
Le troupeau, tassé dans le fond de la bergerie était en proie à une immense terreur. Quatre agnelles de l’année avaient été égorgées.
« Mon Dieu ! Comment est-ce possible? S’indigna François. Un pâtre ! L’or d’un pauvre pâtre ! Ce n’est pas les pieds qu’il fallait lui griller : c’est le cœur ! C’est là qu’il cachait son trésor ! »
Trois hommes coupèrent la corde et descendirent Baptiste. Ils l’étendirent sur son banc. Augustin Durand déchira une vieille carmagnole qui était accrochée derrière le portail et enveloppa ses pieds martyrisés. Ambroise Reymond et Christophe Buey parvinrent à calmer le troupeau en remplissant le râtelier de foin. Ensuite, ils sortirent les agnelles mortes.
Muets et décontenancés, les conseillers restèrent longtemps prostrés devant la dépouille du malheureux berger.
Un silence oppressant, troublé par le mâchonnement des brebis, s’installa.
Soudain, ils levèrent la tête. Un reniflement provenait du replan où Baptiste entassait sa réserve de foin.
Antoine Julian saisit la fourche de micocoulier et dressa l’escabeau contre une poutre. Il se hissa sur les planches disjointes.
« Sors de là ou je t’empale ! » cria-t-il en brandissant sa fourche.
Le tas de foin frémit et une tête effarée émergea du sainfoin. C’était Antoine.
L’enfant tremblait de tout son corps. Aucun mot ne pouvait sortir de sa bouche. Il fit un pas vers le bord du replan, tituba et perdit conscience. François le reçut dans ses bras.
Quand il revint à lui, il fut incapable de répondre aux questions des hommes autrement que par de grosses larmes. Il avait perdu l’usage de la parole.
Cet état de totale prostration dura jusqu’à la fin de prairial.
Pendant tout ce temps, il ne quitta pas se demeure et Thérèse eut bien du mal à lui faire accepter de la nourriture.
« Chaque jour, il fait un pas de plus vers le tombeau, confia-t-elle un jour à François. J’ai le sentiment qu’il refuse de vivre. Il ne desserre pas les dents.
-Il a subi une épreuve terrible. Ce qu’il a dû voir, un adulte ne l’aurait pas supporté. »
La nuit, Antoine de dormait pas. De temps à autre, il poussait un hurlement de bête.
Thérèse veillait. Elle lui épongeait le front. Elle lui faisait boire quelques gorgées de lait. Puis elle s’asseyait à côté du lit, à même le plancher. Là, pendant des heures, elle égrenait son chapelet.
Au matin du 27 prairial, il vint à la cuisine et réclama une tartine de miel.
Thérèse fondit en larmes et le serra contre son cœur.
« O mon petit Toinou ! C’est le plus beau jour du printemps, le plus beau de ma vie. Si tu savais la peur que tu m’as faite !
-Pourquoi ? Tu n’as pas entendu craquer ma paillasse ? »
Pour lui, c’était un matin ordinaire. Sa tartine à la main, il vint à la fenêtre du jardin.
« Tu as vu, maman, les fèves font raies. »
Il ne parla jamais de Baptiste.
On avait mis le pâtre dans le carré des pauvres au nouveau cimetière Saint-Antoine. La population consternée, notables en tête, l’avait accompagné à son dernier jas. Baptiste avait traversé la vie sans bousculer les choses.
« On aurait pu le mettre ailleurs, avait fait remarquer Besson.
-Crois-tu qu’il s’y serait senti à l’aise? Lui avait répondu Hyacinthe Constant. Non, crois-moi, c’est bien ainsi. La pauvreté n’est pas un vice. Ici, c’est la place qu’il aurait revendiquée. »
Les recherches pour trouver les auteurs de ce crime s’étaient perdues dans les bois. Ni la gendarmerie, ni les soldats n’étaient allés plus loin que les feux des charbonniers. Cependant, on était résolu, cette fois, à traquer ces barbares jusqu’au bout, à ne leur laisser aucun répit.
François Aubrespin avait obtenu, de tous ceux qui s’étaient rendus sur les lieux avec lui, le serment de ne jamais révéler l’existence d’un témoin afin de ne pas mettre sa vie et celle de sa mère en danger.
Au retour de la bergerie, François avait tenu Antoine contre lui, sous sa cape. Nul curieux n’aurait pu remarquer sa présence. Il ne s’était pas arrêté chez Thérèse. Il l’avait porté chez lui endormi et l’avait allongé sur le canapé, près de la cheminée.
Puis il était revenu prévenir Thérèse qui allait étendre son linge.
« Il a assisté à la mort de son meilleur ami. C’est affreux. Mais ne vous affolez pas. Il n’a rien. Il dort. Nous aviserons demain. »
Les prédictions que François avait formulées au moment de la levée de l’état de siège se confirmaient de jour en jour. On ne comptait plus les exactions commises dans le canton et les brigands prenaient de plus en plus d’assurance, montraient de plus en plus de cruauté.
Nul doute que l’administration allait requérir le retour de la troupe.
Le courrier parvenu au maire dans les jours qui avaient suivi l’agression de Philibert ne laissait planer aucun doute sur l’opinion exécrable que l’on avait en haut lieu de la gestion locale des affaires.
Comme tous les actes de brigandage demeuraient impunis, on laissait entendre que les scélérats devaient jouir de certaines complicités à l’intérieur de la cité, voire même parmi des gens influents, voire même parmi des notables, voire même parmi des élus.
Qu’on assassine un pâtre, la belle affaire ! Qu’on touche à l’administration, c’est la tempête!
Ce ne fut pas un simple retour dissuasif de la troupe : l’état de siège fut une nouvelle fois décrété. L’armée ne revenait pas pour parader ni pour apaiser les peurs. Investie de tous les pouvoirs, elle venait purger la ville.
Le commandant Sorri n’avait rien à envier au lieutenant Berthier.
Aussitôt arrivé, il fit prendre les armes à la troupe à 4 heures du matin et bloquer les portes de la cité ainsi que toutes les trouées.
Il exigea ensuite l’aide de la gendarmerie pour l’accompagner dans ses opérations et mit en demeure le citoyen Aubenas agent municipal de se joindre au détachement.
Il visita une à une toutes les maisons de la ville en commençant par celles que Guinard avait désignées comme suspectes de complicité.
« La montagne a accouché d’une souris » se dit Aubenas lorsque la rafle fut déclarée close, vers une heure de l’après-midi.
En effet, seul fut arrêté Simon Mandrin, jeune homme de la réquisition qui avait présenté une feuille de route vieille de deux mois. Il aurait été considéré comme déserteur, s’il n’avait produit une attestation de maladie établie par deux officiers de santé de la commune.
Sorri ne put le retenir qu’une journée car son nom figurait sur la liste des permissionnaires réguliers établie sous l’autorité du général Pille commandant de la 8e division.
La population n’eut que le temps d’esquisser un sourire. La nuit suivante, le commandant Sorri renouvela son opération.
La patrouille arrêta à deux heures et demie, Joseph Dupré. Il tenait à la main un tison et de la paille et s’apprêtait à mettre le feu à une maison. Il ne fut pas facile à maîtriser.
Aubenas fut convoqué le lendemain par le commandant qui lui annonça cette arrestation comme un premier succès.
Aubenas fit un grand éclat de rire.
« Le Joseph ? Ça ne m’étonne pas. Il est fou. La nuit, il poursuit les chats en aboyant. Enfin vous allez nous en débarrasser ! Ce n’est pas trop tôt. C’est la meilleure nouvelle depuis longtemps. »
Perplexe, le commandant fit appeler les officiers de santé François Payen et Joseph-Louis Tardieu afin de vérifier l’état mental de Joseph Dupré.
Celui-ci avait passé la nuit à lacérer de ses ongles les murs de sa cellule. Il répondit de manière si extravagante aux interrogations des officiers de santé que son état de démence fut intégralement confirmé.
Sorri, qui n’était pas ravi d’avoir un prisonnier de cet acabit, décida tout de même de le garder en cellule pour éviter tout risque d’incident.
Deux mois plus tard, Joseph Dupré redevenu paisible, tranquille et raisonnable fut remis en liberté.
« Brigand ! Tu t’es débrouillé pour passer l’hiver au chaud ! » Lui dit Guinard qu’il croisa sur le seuil de la maison commune.
« Qu’est-ce que ça peut te faire, vipère ? » lui répondit Joseph.
Puis à plusieurs reprises, il gonfla ses poumons de l’air vif qui courait sur la place pour en chasser l’odeur de paille moisie qui s’y était fixée.
« Ce Sorri, ce n’est pas un drôle. Il s’est mis en tête de tout nettoyer. C’est du mauvais temps pour nous tous. »
Il prit son baluchon sous le bras et sortit de la ville.
»
Ses pas le conduisirent chez Antoine Gourjon qui lui donnait habituellement ses harnais à réparer.
« Alors, Pigralié (pivert), ils t’ont plus voulu ? Lui dit ce dernier qui étalait de la paille dans la litière de ses chevaux.
-Areusement ! Areusement aujourd’hui ! Demain, c’était plus la peine.
-Arrête de parler comme un fada.
-Quand même, on en apprend des choses quand on est fada.
-On apprend quoi, par exemple?
-Des choses qu’on dirait pas devant un pas fada.
-Fais pas l’ensuqué. Qu’est-ce que tu as appris ?
-Des choses. Demain, par exemple, ils vont faire le tour des fermes.
-Là, Pigralié, tu m’apprends vraiment quelque chose. Mais, fada, ça fait un moment qu’ils font le tour des fermes ! Tu as été enfermé trop longtemps. Tous ces chevaux malades, ça leur a mis la puce à l’oreille. Ils vérifient si c’est vrai. Moi, vois-tu, je suis en règle : ils ne viennent pas souvent mettre leur nez dans mon écurie.
-Cette fois, c’est pas pour les chevaux. Ils sont sûrs que vous aidez les brigands et les contrebandiers…Alors, ils vont tout mettre en l’air chez vous pour voir si c’est vrai.
Moi, je sais que c’est pas vrai mais j’ai préféré venir vous avertir…si des fois…
-Tu as bien fait. Rassure-toi : ce n’est pas vrai mais, quand même, tu as bien fait.
Tiens, viens boire un verre de vin. Tu n’as pas dû en boire d’aussi bon en prison, peuchère. En repartant, tu prendras ces sangles : il faut remettre des rivets. »
Le jour même, Antoine Goujon se présenta à la maison commune pour faire enregistrer sa plainte.
« Pendant six fois différentes, on s’est introduit dans ma propriété et on m’a volé soixante quatre pièces de volaille, savoir douze pièces du 24 au 25 vendémiaire, quinze poules de 5 frimaire, le 21 huit poules ; du 5 au 6 nivôse une dinde, le coq, un chapon et deux poules. Si je n’étais pas arrivé, ils auraient volé mon cochon. Ils l’ont laissé sur l’aire après l’avoir fait sortir de l’écurie. Du 4 au 5 ventôse dans la nuit, on m’a pris encore douze pièces de volaille et enfin, du 20 au 21, on s’est introduit par le couvert de mon écurie, on a rompu plusieurs tuiles, percé le plancher et entré dans le poulailler où on m’a pris onze chapons et une poule. »
L’agent municipal qui enregistrait la plainte fit une moue dubitative et, par-dessus ses lunettes, examina le plaignant.
« Si vous ne me croyez pas, venez avec moi : je vous ferai voir. »
L’agent suivit Gourjon jusqu’à son poulailler qui se trouvait au fond du jardin.
Effectivement, il avait été ouvert et crevé sur le toit. Une volige avait été brisée ainsi que plusieurs tuiles. D’autres avaient été dérangées pour pratiquer le trou par lequel les voleurs s’étaient introduits dans le poulailler. Une quantité considérable de plumes était encore coincée entre les tuiles.
« En effet, en effet, admit l’agent. Il y a bien eu effraction. Cependant, je me pose une question et je la pose à vous-même : comment se fait-il que vous ayez attendu jusqu’à aujourd’hui pour porter plainte ? Qu’attendiez-vous ? Qu’ils volent aussi votre femme ?
-Justement, c’est elle qui ne voulait pas. Elle avait peur qu’on nous fasse comme à Françon. »
Françon était fermier dans une propriété où l’on se consacrait à la culture de la garance et de la vigne. C’était à une petite lieue de Valréas, au pied du plateau de Suzeau qui constitue la première marche de la Lance.
Las de payer sa contribution aux brigands, il avait eu la malencontreuse idée de les recevoir avec sa fourche et de leur refuser les quatre poules qu’ils étaient réclamaient.
Les scélérats n’avaient pas insisté mais, deux jours après, Julie Françon avait découvert, dans la remise, son mari cloué au sol par son louchet à garance.
« J’admets sa peur, dit l’agent. Mais alors, pourquoi aujourd’hui ? A-t-elle soudainement oublié se peur des brigands ?
-Oh non ! Elle tremble jour et nuit. Seulement, trop c’est trop. Le commandant Sorri a cent fois raison quand il dit qu’il faut exterminer cette racaille.
Regardez un peu ce qu’ils ont fait du toit. Regardez ce qui me reste. Je n’ai même plus un coq pour qu’il me réveille à l’aube. Ces scélérats me condamnent à manger des regardelles (manger avec les yeux). »
Ce que Gourjon ne dit pas à l’agent municipal, c’est qu’il s’était retiré dans son poulailler aussitôt après le passage de Joseph Dupré. Il s’y était livré à un habile travail de maquillage. Il avait brisé lui-même quelques tuiles à coup de talon, il en avait déplacé quelques autres, il avait éparpillé sur le toit les plumes de la dernière poularde mangée en famille.
Ce que Gourjon ne dit pas à l’agent municipal, c’est qu’il fournissait de son plein gré toutes sortes de victuailles aux gens des bois depuis plusieurs mois.
Folie ? Révolte ?
Cet homme honorablement connu vivait un drame.
Deux de ses fils, volontaires de la deuxième réquisition, avaient disparu entre Valréas et leur garnison de Nîmes. Volatilisés !
Ni morts ni vifs : on ne les avait pas retrouvés. Le pauvre Antoine Gourjon s’était mis en tête qu’ils avaient été détournés par des brigands et enrôlés de force dans une des bandes de la région.
Il nourrissait l’espoir que ses volailles fournies aux brigands profitaient à ses enfants et, homme d’une grande foi, il pensait qu’en agissant de la sorte, Dieu les lui rendrait un jour.
Pauvre Gourjon ! Ce qu’il ne savait pas, c’est que ses deux fils avaient pris la route du nord pour essayer de s’enrôler sous une fausse identité dans l’armée de Sambre et Meuse pour fuir l’infâme Laurent.
Sa plainte déposée et enregistrée le plaçait parmi les victimes et le protégeait ainsi du zèle tatillon des contrôleurs.
Ce que fit Gourjon, d’autre le firent avec des motivations diverses. Depuis des générations, en fait depuis l’acquisition légale et contestée du chemin de Barbaras, les Valréassiens étaient passés maîtres dans l’art de contourner les lois.
Les secrets les mieux gardés, comme les dates des contrôles, étaient immanquablement éventés et les déclarations de vols, d’agressions ou de disparitions inexpliquées de marchandises pleuvaient la veille des dates arrêtées.
Des sacs de blé s’envolaient des granges, des brebis manquaient aux troupeaux, des chevaux étaient enlevés dans les écuries…
Contrôles et réquisitions passés, on rachetait un cheval que l’on voulait identique à celui qui avait disparu, on ressortait des saloirs cachés la viande soustraite à la levée et les sacs de blé dont on pleurait la disparition se négociaient la nuit sur les sentiers de contrebande.
La République avait encore du souci à se faire pour son unité.
Le patriotisme tel qu’on l’entendait en haut lieu n’avait pas cours dans la plupart des familles. On protégeait ses enfants avec les armes désuètes de la survie.
La multiplication des vrais billets de fausses maladies confirmait avec constance le mauvais esprit des Valréassiens.
Les menaces pleuvaient sur les élus qui n’en étaient pas affectés pas outre mesure.
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LE CHEMIN DE BARBARAS (suite 8)
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