LEO REYRE
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 LA GLOIRE DU FILS 3

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Leo REYRE
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Leo REYRE


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MessageSujet: LA GLOIRE DU FILS 3   LA GLOIRE DU FILS 3 I_icon_minitimeMar 7 Sep - 10:45


JOUÉ

Marius Acte II Scène IV
César : Et voilà.
Marius : Et voilà. Tu ne vas pas te coucher ?
C : Pourquoi me dis-tu ça ?
M : Parce que si tu ne dors jamais, tu finiras par te ruiner la santé.
C : Merci, Marius. Tu es un bon fils. Je vais y aller. Il est onze heures. Maintenant, tu peux fermer parce que tu ne travailleras guère et ton bénéfice serait pour la compagnie d’électricité.
M : Oui, je vais fermer.
C : Où es-tu allé ce soir ?
M : Une petite partie de billard à la brasserie suisse.
C : Avec qui ?
M : Des amis…
C : Je suis persuadé que ce n’est pas vrai.
M : Comment ? Ce n’est pas vrai ?
C : Non, ce n’est pas vrai. Tais-toi. N’en parlons plus. J’ai des choses plus sérieuses à te dire.
M : Quelles choses ?
C : Voilà. Un jouir ou l’autre, tu finiras par te marier ?
M : Moi ? Pourquoi ?
C : Parce que c’est naturel, c’est normal. Dans un commerce, c’est nécessaire. Est-ce que tu es décidé à ne jamais prendre une femme ?
M : Je n’y ai pas encore pensé.
C : Eh bien, c’est peut-être le moment d’y penser.
M : Pourquoi ?
C : Parce que Panisse a demandé Fanny
M : Je le sais. Mais je ne vois pas bien le rapport.
C : Allons, fais pas la bête. Je sais très bien que tu es amoureux de Fanny.
M : Qui t’a dit ça ?
C : Mon petit doigt.
M : Ton petit doigt n’est pas malin.
C : Oh ! que si. Tu es amoureux de Fanny et la preuve, c’est qu’hier après-midi, tu t’es jeté sur Panisse comme une bête fauve, et que si on ne vous avait pas séparés, tu l’aurais étranglé. Mort…Mort.
M : Nous nous sommes simplement disputés à propos…
C : A propos de quoi ?
M : De je ne sais plus quoi.
C : A propos de Fanny. Tu voulais supprimer un rival, voilà tout.
M : Allons donc !
C : Tu n’as pas réfléchi que tu as une autre façon de le supprimer ? Tu n’as qu’à demander la main de Fanny.
M : Tu crois qu’elle accepterait ?
C : Je le crois.
M : Tu en as parlé à sa mère ?
C : Mais non, mais non. Je ne parle jamais à sa mère ! Qu’est-ce que tu vas imaginer ? Mais je crois qu’elle dirait oui.
M : Peut-être mais je n’y tiens pas.
C : Pourquoi ?
M : Parce que je n’ai pas envie de me marier. Je ne sais pas si je l’aime assez pour ça.
C : Marius, tu es un menteur.
M : Pourquoi ?
C : Parce que tu mens. Tu mens ! Tu aimes Fanny. Tu es fou de rage parce qu’un autre va te la prendre et tu refuses de l’épouser… Tu deviens insupportable, à la fin ! Si tu es fou, dis-le franchement, je t’envoie à l’asile et on n’en parle plus. Si tu n’es pas fou, si tu as la moindre confiance en ton père, dis-moi ce qui se passe. Il y a une femme, là-dessous, hein ?
M : Eh bien…Oui…
C : Ha ! Ha ! Nous y voilà. Ha ! Ha ! Je le savais bien. Oh ! Je le savais bien ! Qui est-ce ?
M : Ça me gêne de te parler de ces choses-là !
C : Moi aussi, ça me gêne horriblement. Mais ça me gêne encore plus de te voir idiot et je voudrais savoir pourquoi ! Qui est cette femme ? Tu ne peux pas l’aimer puisque tu aimes Fanny.
M : J’ai peut-être pitié d’elle.
C : Et c’est la pitié qui te rend idiot ?
M : Ecoute, puisque tu y tiens, je vais te le dire : c’est une femme…que j’ai aimé…et qui m’aime beaucoup…Si je lui disais que je vais me marier, elle souffrirait.
C : Oui, elle souffrirait.
M : Elle se suiciderait peut-être.
C : Oh ! Mauvais…
M : Et peut-être, elle me tirerait un coup de revolver.
C : Oh ! Affreux. Pas de ça. Pas de ça.
M : Alors, il faut me laisser le temps…pour la préparer à cette idée. Tu vois que…en somme, c’est très simple.
C : C’est simple, oui, c’est simple. Je ne te demande plus de me dire son nom puisque tu ne veux pas. Mais dis-moi, que ce n’est pas madame Escartefigue.
M : Non, ce n’est pas elle.
C : Bon. C’est fini. Alors, pour Fanny, qu’est-ce que nous faisons ?
M : Attendons.
C : Mais si elle accepte Panisse ?
M : Alors, tant pis.
C : Tant pis. Tout de même, il faudra un peu reparler de tout ça demain matin. Donne-moi la caisse. Moi, je sens que je vais y réfléchir toute la nuit.
M : Tu bâilles beaucoup pour un homme qui va réfléchir…
C : Bonsoir, petit.
M : Bonsoir, Papa.
(César est sur le pas de la porte, il va sortir. Marius le rappelle avec une certaine timidité)
Papa !
C : Oou ?
M : Je t’aime bien, tu sais.
C : Qu’est-ce que tu dis ?
M : Je t’aime bien.
C : Mais moi aussi, je t’aime bien. Pourquoi me dis-tu ça ?
M : Parce que je vois que tu t’occupes de moi, que tu te fais du souci pour moi. Et alors, ça me fait penser que je t’aime bien.
C : Mais bien sûr, grand imbécile !
M : Bonsoir, papa.
(Il va à lui et lui tend son front. César l’embrasse gauchement. Puis il le regarde un instant et le prend aux épaules)
C : Bonsoir, mon fils. Tu sais, parfois je te dis que tu m’empoisonne l’existence, mais de n’est pas vrai.

MARCEL PAGNOL

Tous les soirs, en embrassant Marius, Raimu se payait un gros effet.
Un jour, Pierre Fresnay me fait dire qu’il aimerait bien me voir.
Je monte au théâtre avant le spectacle et Pierre Fresnay m’explique dans sa loge qu’il ne comprend pas ce qui se passe mais que, depuis quelques jours, dans la scène « papa, je t’aime bien », Raimu n’e l’embrasse plus.
« Eh bien, ajoute-t-il, la scène n’a plus le même succès qu’avant. Ça marche, bien sûr, mais le gros effet, c’est fini. Ce qui est bien embêtant.
-Mais pourquoi il ne t’embrasse plus. Tu as une idée ?
-Aucune.
-Eh bien, il faut lui demander.
-Justement, répond Fresnay, il faut lui demander, mais j’aimerais mieux que ce soit vous… »
Bon ! Il fallait donc affronter Jules. Je m’y décide. Je l’attaque à l’entracte, de biais bien entendu. Je l’attends dans sa loge.
« Alors, ça va, Jules ?
-Ça va.
-Avec Fresnay ?
-Ça va.
-Vous n’avez pas eu des mots ? Vous ne vous êtes pas engueulés ?
-Avec Fresnay ? Pourquoi tu veux qu’on se soit engueulé ?...Fresnay, on voudrait s’engueuler avec lui qu’on pourrait pas. Même moi. Non, non…m’engueuler avec Fresnay, quelle idée ! »
Jules savait très bien pourquoi j’étais venu. Il savait la question que je voulais lui poser. Il m’attendait. Il fallait bien que j’en vienne au fait.
« Mais, dis-moi, dans la scène « Papa, je t’aime bien », j’ai remarqué que tu ne l’embrasses plus. C’est embêtant. On avait un gros effet, on ne l’a plus. Tu as une raison ?
-Une raison, éclate Jules. Je pense que j’en ai une de raison !
-Ah ! Et c’est quoi ta raison ?
_Ma raison, ma raison, c’est que je suis un honnête homme.
-Un honnête homme ? Qu’est-ce que ça veut dire, ça ?
-Parfaitement, je suis un honnête homme…Et je refuse de jouer plus longtemps le rôle d’un père pédéraste.
-Quoi ? »
J’étais abasourdi.
En insistant, je finis quand même par obtenir une explication.
Quelques jours plus tôt, au Fouquet’s, Raimu avait rencontré un monsieur important gros marchant de tissus, célèbre pour ses mœurs spéciales qui était venu la veille à la représentation et qui lui avait dit :
« Quand vous embrassez Marius, au milieu du deuxième acte, on voit bien que vous voulez coucher avec lui. »
Brave Jules ! Cette idée seule lui avait tourné les sangs.
Il n’en reste pas moins que, depuis des mois, Raimu avait ému aux larmes des milliers et des milliers de spectateurs avec un geste tout naturel, qu’il exécutait avec une pudeur sublime et qu’il n’était pas sûr d’avoir bien compris.
Il lui avait fallu cette rencontre avec un inverti des beaux quartiers pour qu’il remette tout en question.
J’ai mis longtemps, j’ai eu beaucoup de mal à persuader Jules que mes intentions dans l’indication du jeu de scène étaient pures comme le jour.
Il finit tout de même par accepter de reprendre le baiser.
Fresnay et lui retrouvèrent l’énorme effet des premiers jours.
C’est le miracle du théâtre. Il y a des acteurs qui te diront que les effets s’usent. Rien n’est plus faux. C’est leur jeu qui s’est usé.
Depuis trois siècles, c’est au bout des mêmes répliques que les comédiens qui jouent Molière ont rendez-vous avec les bravos !

On entend les sonnailles d’un troupeau.

NARRATEUR

Sommes-nous en Arcadie avec Ménalque ?
Dans les collines des Bastides Blanches avec Manon ?
Ou dans le massif de l’Etoile avec Paul, le petit frère, devenu chevrier ?
(Un accompagnement à l’harmonica serait le bienvenu)

MARCEL PAGNOL

Mon frère Paul était un petit bonhomme de trois ans, la peau blanche, les joues rondes, avec de grands yeux d’un bleu très clair et les boucles dorées de notre grand-père inconnu. Il était pensif, ne pleurait jamais, et jouait tout seul, sous une table, avec un bouchon ou un bigoudis ; mais sa voracité était surprenant : de temps à autre, il y avait un drame-éclair :on le voyait tout à coup s’avancer, titubant, les bras écartés, la figure violette. Il était en train de mourir suffoqué.
Ma mère affolée frappait dans son dos, enfonçait un doigt dans sa gorge ou le secouait en le tenant par les talons comme fit jadis la mère d’Achille.
Alors, dans un râle affreux, il expulsait une grosse olive noire, un noyau de pêche ou une longue lanière de lard.
Après quoi, il reprenait ses jeux solitaires, accroupi comme un gros crapaud.

Sur les collines de Provence, dans les ravins de Baume Sourne, au fond des gorges de Passe-Temps, j’ai suivi bien souvent mon frère Paul, qui fut le dernier chevrier de l’Etoile.
Il était grand, avec un collier de barbe dorée et des yeux bleus dans un beau sourire. Sorti de l’école d’agriculture, il avait choisi la vie pastorale.
Parce qu’il ne pouvait accepter les plafonds, il dormait sur le gravier de la garrigue, roulé dans son manteau de laine et la corde d’un bouc attachée à son pied. Il s’éveillait avant le jour et son sommeil avait imprimé sur sa joue quelques grains de genièvre, ou le dessin d’un épi de lavande.
Il portait une grande houlette en bois de cade, belle avec ses nœuds égaux et sa monture de bronze et, comme Ménalque, il savait jouer de l’harmonica qui n’est rien d’autre qu’un flûte de Pan perfectionnée. Je l’avais acheté pour lui dans un bazar d’Aubagne : La soudure métallique y remplaçait la cire fauve mais les fines languettes de cuivre donnaient des sons d’une mélancolie poignante.
Il jouait de vieux airs, ceux des chevriers de l’Etoile, de la Sainte-Baume ou de la Gineste et qui lui étaient venus du fond des temps.
Il avait composé des fugues qu’il jouait avec des réponses de l’Echo des Trois Bergers.
Il fallait d’abord chercher la bonne distance : elle variait selon la longueur du thème proposé et la direction du vent ; quand il l’avait trouvée, il lançait la première phrase et l’écho la reprenait pendant qu’il attaquait la seconde. Ces petits concerts étaient d’une beauté magique, surtout sous les nuits d’été. Tout le paysage y participait : le silence brillant des étoiles, l’odeur du thym, le tintement d’une clochette, la lime d’argent d’un grillon et cet harmonica grêle et tendre enseignait enfin la musique à l’écho millénaire des roches bleues.
De temps à autre, il rentrait au bercail de Ravel en poussant devant lui ses chèvres gonflées de lait. Après avoir séparé de leur mère les chevreaux nouvellement sevrés, il préparait dans une éclisse qu’il avait tressée lui-même du fromage frais en abondance.
J’allais souvent dans son royaume des garrigues : nul ne savait où il était. Je le cherchais, guidé parfois par le son lointain de l’harmonica ; souvent, au printemps, par l’odeur du bouc ; toujours par ma tendresse fraternelle plus sûre qu’un pendule de sourcier.
Je lui apportais les choses des villes : une ceinture de cuir, une pipe, une montre, un couteau de berger.
Alors, pour me remercier, il me nommait les plantes, les sources, les étoiles, et me dénonçait les échos.

NARRATEUR

Et si c’était Manon, la sauvageonne, le double au féminin du frère Paul !

LU ou RÉCITÉ

Assise au bord d’un grand trou rond, les jambes pendant vers l’eau, qu’elle égratignait du bout de l’orteil, elle était nue.
Une collerette de hâle descendait de son cou vers sa jeune poitrine, ses avant-bras étaient bruns jusqu’aux coudes et ses jambes jusqu’aux genoux ; mais son torse était d’un blanc de lait et brillait d’un lumineux contraste avec les gants et les bas mordorés du soleil.
Immobile comme une pierre, Ugolin ne respirait plus…
Non loin de la bergère, sur la roche brûlante, sa robe sombre et sa chemise séchaient au soleil.
Tout près d’elle, un morceau de savon carré et son petit harmonica.
Pensive, la tête baissée, ses cheveux blonds pendants vers sa poitrine, elle balançait toujours ses jambes rondes, et des gouttes brillantes, au bout de son pied, sautaient au soleil.
Il sentit que le sang lui montait au visage et qu’il faisait battre ses tempes ; Il avala deux fois sa salive, et il ne pouvait détacher ses yeux de ces blanches et tendres cuisses, élargies par leur poids sur la roche bleue. Une sombre folie commençait à monter en lui. Il leva la tête et regarda de tous côtés : personne. Ni berger, ni bûcheron, ni braconnier. Il écouta. Nul bruit ne troublait le silence qui tremblait à peine au son d’un grillon. Alors, il chercha des yeux le passage caché qui le conduirait derrière elle.
Mais elle se leva soudain, légère et prompte comme un chèvre, et se pencha pour ramasse la robe qui laissa son ombre sur la pierre humide. Elle dut trouver que l’étoffe n’était pas encore sèche car elle en habilla un cade pointu. Puis elle se pencha de nouveau pour prendre son harmonica.
Alors, elle écarta ses cheveux de sa bouche et souffla quelques frêles accords qui enchantèrent un écho tout proche, puis elle attaqua un vieil air de Provence, Et tout à coup, un bras étendu, elle se mit à danser au soleil.
Il entendit des aboiements, puis un galop léger qui crépitait comme une pluie : les chèvres parurent au détour d’un petit cap de roche, suivies du chien noir qui les ralliait à la musique.
Le chien s’assit sur son derrière et regarda tandis que les chèvres, en demi-cercle, broutaient les vertes broderies des crevasses. Mais un chevreau se dressa sur ses longues pattes de derrière, sa petite barbe courbe repliée contre sa gorge et les cornes pointées en avant. Il hésita quelques secondes et s’élança vers la danseuse ; d’un pas de côté, elle l’évita, mais quand il fut au bout de son élan, il fit volte-face et reprit le jeu.
Lancés l’un vers l’autre, ils s’évitaient et se croisaient, sans le moindre effort visible, comme portés par la brise et la joie de leur jeunesse ; et le pauvre Ugolin des Soubeyran, qui cassait le manche des pioches et qui n’avait jamais pu franchir une porte sans meurtrir son épaule au chambranle, regardait ces pieds cambré, repoussés par la roche élastique, ce chevreau roux, aussi léger que la musique, et il ne savait plus si c’était elle qui jouait cette chanson ou si les échos amicaux l’inventaient pour porter leur danse.
Il étai pris dans le mystère d’une peur émerveillée : le menton dans une lavande, il entendait battre son cœur et il sentait obscurément que cette dansante fille, encore fraîche de l’eau lustrale de la pluie, était la divinité des collines, de la pinède et du printemps. »

NARRATEUR

Oh oui, pauvre Ugolin des Soubeyran !
Cette vision t’a rendu fou. Fou d’amour d’abord ! Fou de remords ensuite ! Fou jusqu’à te pendre !

JOUÉ

« Ugolin :…Figure-toi que j’ai très bien réussi…J’ai gagné de l’argent…Hum. Beaucoup d’argent…Et tout cet argent, c’est des pièces d’or, bien cachées…Ça, je ne l’ai dit à personne, mais à toi, je te le dis parce que ça prouve que ton père avait raison…Dans deux ans, avec mes économies, ça me fera au moins 50 000 francs ! Qu’est-ce que tu en penses ?
Manon : Ça ne me regarde pas. Si vous êtes riche, tant mieux pour vous.
U : Ecoute, t’en vas pas. Je veux te dire quelque chose d’important. Oui, une commission pour ta mère. C’est vrai que vous habitez au Plantier avec Baptistine ?
M : Oui. C’est tout ce qui nous reste mais nous sommes chez nous.
U : Eh bien, moi, ça m’ennuie de penser que vous êtes là-haut trois femmes seules ; même; ça me fait un peu honte. Pourtant, ce n’est pas de ma faute. Je vous avais dit de rester aux Romarins et puis c’est vous qui êtes parties sans explication. Mais quand même, des fois, ça me fait honte.
M : Pourquoi ? Ça ne vous regarde pas !
U : D’accord, mais j’y pense souvent. Est-ce que ça ne te ferait pas plaisir de revenir aux Romarins ?
M : Avec vous ?
U : Mais non, mais non ! Moi, j’ai toujours ma maison de Massacan, où je me plaisais bien, et je me sens pas bien chez moi aux Romarins, parce que c’est toujours la maison de Monsieur Jean, mais je suis forcé d’y rester à cause des œillets… C’est délicat, ça craint beaucoup, il leur faut de la compagnie… Si la maison était vide, les lapins me feraient du mal… Et puis, ça vaut cher, on viendrait peut-être m’en voler la nuit… Tandis que si tu étais là, avec ta mère et Baptistine, moi, je retournerais à Massacan…Vous, vous profiteriez de la source et vous habiteriez au milieu des fleurs que ta mère aime tant…
M : Je vous remercie, mais je vous l’ai déjà dit : nous sommes très bien au Plantier, et les Romarins, pour nous, c’est trop triste. Non, merci.
U : Manon, écoute : Je sais bien pourquoi tu dis non. C’est parce que tu es fière. Tu ne veux jamais accepter les cadeaux…Déjà, quand tu étais petite, si je t’apportais une poignée d’amades, tu partais en courant… Ecoute : pour la fierté, ça peut très bien s’arranger. Laisse moi t’expliquer.
Je te l’ai dit : mon travail, c’est les œillets. Mais ce n’est pas tout de défoncer et de planter : il faut aussi arroser, il faut cueillir, et puis faire des bouquets…Et ça, des femmes peuvent le faire. Alors toi, ta mère et Baptistine, ça m’aiderait beaucoup, et je vous paierais pas mal…
M : Ah ! Bon, je comprends ! Vous avez besoin de domestiques ?
U : Mais non ! Mais non ! Ne le prends pas comme ça !
Moi, en souvenir de ton père, je t’offre ta maison et un petit travail, comme ça tu n’auras pas l’idée que je te fais la charité…Mais surtout, ce que je voudrais, ça serait de te sortir de ta sauvagerie et de te rendre service en ami !
M : Vous êtes très fort pour rendre service, mais ça finit toujours par vous profiter !
A force de rendre service à mon père, vous habitez dans notre maison, c’est vous qui avez trouvé la source, et c’est vous qui êtes devenu riche ! Peut-être vous n’avez rien fait de mal, mais je crois que vos services nous portent malheur. Alors, ne vous occupez pas de nous : nous n’avons besoin de personne, et surtout pas de vous !
U : Manon ! Ecoute, Manon… Manon ! Ne cours pas ! Ecoute-moi une minute ! Manon, c’est pas vrai ! C’est pas pour te faire travailler ! C’est parce que je t’aime ! Manon, je t’aime ! Je t’aime d’amour !... Manon, j’ai pas osé te le dire de près, mais j’en suis malade ! Ça m’étouffe ! Et il y a longtemps que ça m’a pris ! C’était aux Réfresquières, après le gros orage ! Je m’étais caché pour les perdreaux… Je t’ai vue quand tu te baignais dans les flaques de la pluie… Je t’ai regardée longtemps, tu étais belle. J’ai eu peur de faire un crime ! Je suis parti sous les genêts et toi, tu m’as lancé des pierres.
M : Vieux cochon !
U : C’est pas vrai, je suis pas vieux ! J’ai trente ans et cinq mille francs l’année prochaine ! Et puis, c’est pas pour m’amuser ! Je veux te marier ! C’est ça les bons ménages ! Et puis, la famille, j’en ai pas ! Personne à nourrir ! Le grand-père est mort ! La grand-mère est morte ! Mon père s’est pendu quand j’étais petit, ma mère est partie de la grippe ! Il ne reste que le Papet ! C’est mon parrain, le Papet ! Il est riche et il va tout me laisser parce que je suis le dernier des Soubeyran ! Et il est vieux, il va crever bientôt, le Papet. Nous aurons la grande maison au village ! Et tous les œillets que j’ai fait pour toi ! Oui, pour toi, nom de Dieu ! Parce que je t’aime ! Je t’aime !...
Manon ! Tu seras comme une reine ! Je te paierai deux femmes de ménage ! Tu te lèveras quand tu voudras ! Je te porterai le café au lit tous les matins, oui, nom de Dieu, parce que je t’aime !

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