LEO REYRE
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 LA GLOIRE DU FILS 5

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Leo REYRE
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Leo REYRE


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MessageSujet: LA GLOIRE DU FILS 5   LA GLOIRE DU FILS 5 I_icon_minitimeMar 7 Sep - 10:56


NARRATEUR

Ah ! Le rire !

MARCEL PAGNOL

« Faire rire ceux qui rentrent des champs avec leurs grandes mains tellement dures qu’ils ne peuvent plus les fermer, ceux qui sortent des bureaux avec leurs petites poitrines qui ne savant plus le goût de l’air, ceux qui reviennent de l’usine la tête basse, les ongles cassés, avec de l’huile noire dans les coupures de leurs doigts…Faire rire ceux qui mourront, faire rire tous ceux qui ont perdu leur mère ou qui la perdront…Il n’y a que les hommes qui rient. Les hommes et même les tout petits enfants, ceux qui ne parlent pas encore… Le rire, c’est une chose humaine, une vertu qui n’appartient qu’aux hommes et que Dieu peut-être leur a donnée pour les consoler d’être intelligents. »


NARRATEUR

Audiberti qui ne détestait pas le paradoxe affirmait qu’avant Pagnol, les Marseillais s’exprimaient comme tout le monde et que c’est en allant au cinéma voir jouer Marius qu’ils avaient appris à parler avec leur fameux accent.
Les comédiens de Pagnol, en fait, étaient des Provençaux de pure souche exception faite de Fresnay et de Vattier.
Comme chez Molière, il y avait chez Pagnol les sociétaires et les pensionnaires.
Il y eut des pensionnaires prestigieux : Rellys dans Manon, Fernand Sardou dans les Lettres de mon Moulin, Henri Vilbert qui fut le Curé de Cucugnan et surtout Raymond Pellegrin.
Mais, si on compte bien, le nombre de sociétaires n’a jamais dépassé la douzaine.
C’étaient, avec Raimu, Charpin et Fernandel, Alida Rouffe l’Hnorine de la trilogie, Milly Mathis la tante Claudine de Fanny et de César, Delmont le père Gaubert de Regain, l’ouvrier agricole d’Angèle, Blavette, Dullac, Maupi, Henri Poupon qui fut Merlusse, Fonse dans Jofroi et le Papet dans Manon, Robert Vattier le Parisien en réalité Breton mais Lyonnais dans le rôle de Monsieur Brun.
Tous les comédiens de sa troupe adoraient Pagnol.
Tourner un film avec lui était pour eux une joyeuse équipée à laquelle ils se rendaient comme à une partie de pêche ou à un concours de pétanque.
D’abord, pendant toute la durée des prises de vue, aux studios du Prado comme en extérieurs, tout le monde vivait ensemble. Auteurs, acteurs, techniciens, machinistes formaient un phalanstère haut en couleurs pratiquant la galéjade comme religion d’état. A table, on écoutait parler Marcel. Et on badait.
Avec Raimu, l’amitié était profonde et la dispute un jeu dont Marcel savait tirer profit pour étoffer les rôles de son préféré.
Les brouilles entre amis, c’est pour donner plus de relief aux réconciliations.
Entre Raimu et Pagnol, les accrochages étaient fréquents mais Marcel y prenait un malin plaisir car la spontanéité des propos de Jules et leur force dramatique lui fournissait une matière quasiment intarissable.
Une grande partie des paroles que Pagnol met dans la bouche de Raimu sont, sans nul doute possible, des paroles de Raimu très légèrement affinées par Pagnol.

MARCEL PAGNOL

15 juin 1946
Mon cher Jules,
Il faut que tu sois bougrement fâché avec moi pour ne pas répondre à une lettre injurieuse qui n’avait pas d’autre but que de commencer une dispute.
Si tu ne veux pas te disputer avec moi, c’est que tu ne m’aimes absolument plus. Ou alors, tu es devenu patient et résigné comme un vrai sociétaire de notre Théâtre National.
Il est absolument indispensable que je te voie, que je te parle.

NARRATEUR

Marcel, c’était le surhomme de Jules, une sorte de bon Dieu auquel il lui arrivait de se confier avec une touchante naïveté.
Un soir, Marcel et Raimu étaient assis sous un arbre. Marcel écrivait une scène urgente et Jules que la nuit provençale avait rendu poète, contemplait les étoiles…Quand brusquement, il interrompt l’auteur :

DIALOGUÉ

« Dis, Marcel, est-ce que tu sais, toi, combien il y a d’étoiles dans le ciel ?
-Hein ? Je ne sais mas, moi…
-Tu n’as pas bien compris ma question : je te demande combien il y a d’étoiles dans le ciel.
-Ecoute, Jules, laisse-moi travailler. Des étoiles, dans le ciel, il y en a…beaucoup !
-Oui, mais je te demande combien
-Ecoute, Jules, tu m’emmerdes ; des étoiles, il y en a beaucoup, mais je ne sais pas combien !
-Et voilà, Môssieur est professeur et Môssieur ne sais pas combien il y a d’étoiles dans le ciel !

NARRATEUR

Encore une belle occasion de commencer une dispute.
Une autre fois.

DIALOGUÉ

« Marcel, on dit que, quand on meurt, on va dans une étoile. Dis-moi dans quelle étoile j’irai, moi ?
-Oh ! Ça, c’est une question difficile.
- Une question difficile, bien sûr, c’est une question difficile, mais pas pour toi.
-Si, même pour moi, c’est une question difficile.
-Ce n’est pas la peine d’être allé à l’école jusqu’à vingt ans, d’être bachelier, licencié, agrégé, d’être Monsieur le professeur pour ne même pas savoir calculer dans quelle étoile j’irai quand je serai mort…
-Je te dis que c’est difficile.
- J’ai compris ! Tu le sais mais tu ne veux pas me le dire, et tu ne veux pas me le dire parce que tu veux me faire de la peine. A moi, ton ami de vingt ans… »
Quand Jules était parti sur ce thème, il était bien difficile de l’arrêter.
Soudain, j’ai une idée :
« Ecoute, Jules, tu as raison. Je peux te le dire.
-Ah ! Tu vois, j’en étais sûr.
- Mais je ne peux pas te le dire comme ça. Ce n’est pas une question simple. Il faut que je fasse des calculs. Je vais chercher et je te le dirai.
-Dans longtemps ?
-Mettons dans un mois. »
Un mois plus tard, jour pour jour, je vois arriver Jules dans mon bureau, qui me dit :
« Alors, tu l’as trouvée, cette étoile dans laquelle j’irai quand je serai mort ? »
Le soir même, je lui en ai montré une au hasard. Il était ravi. Je n’étais pas très fier.

NARR ATEUR

Le domaine dans lequel Jules se sentait à plusieurs encablures devant son ami Marcel était celui de l’élégance. Il y était pas seulement un maître mais l’élégance même. Marcel, lui, affichait un certain laisser-aller vestimentaire. Il préférait les pantalons en velours côtelé et les pull-overs souvent décorés de « bougnettes »… ce que Jules lui reprochait vertement.
Et quand, par hasard, Marcel sortait en tenue soignée, Jules ne manquait jamais de remarquer :
« Boudiou, que tu es beau, Marcel ! Mais fais-toi vite une bougnette, tu seras plus à l’aise. »

Légendaires, les colères, les disputes et les chicanes de Raimu !
Une des plus mémorables est celle qui l’opposa à son directeur Léon Volterra.

MARCEL PAGNOL

« Monsieur Raimu, allez consulter le billet de service. »
Jules, surpris, hésita un instant et sortit car le billet de service était affiché tous les jours dans le couloir des loges.
Il y eut un lourd silence. Tous les comédiens l’avaient lu, ce billet. Il disait :
« M. Raimu ayant gravement manqué de respect à son directeur, son contrat est résilié. »
Raimu reparut. Il s’avança jusqu’à la rampe et dit simplement :
« A qui faut-il remettre le manuscrit ?
-A M. Henriot, dit Léon.
Le régisseur s’avança vers Jules qui lui tendit le gros cahier rouge puis, sans mot dire, nous tourna le dos et sortit de scène. Pendant trente seconde, personne ne parla ni ne bougea.
Je le rejoignit dans l’entrée du théâtre.
« Jules, dis-moi ce qui se passe.
-Il se passe que Monsieur Volterra m’a résilié.
-dis-moi pourquoi.
-Ça n’arrangerait rien.
- Ecoute : je sais bien que cette brouille ne durera pas plus de huit jours et ce sera huit jours de perdus pour notre travail. Est-ce que tu ne trouves pas que c’est ridicule ? Dis-moi d’abord qui est-ce qui a commencé ?
- Si tu mele demandes, c’est parce que tu crois que c’est moi ! Par conséquent, c’est que tu lui donnes raison !
-Je ne donne raison ni à l’un ni à l’autre puisque je ne sais même pas de quoi il s’agit ; mais je sais que dans toutes ces querelles, c’est toi qui a crié le premier…
- C’est peut-être moi qui crie le premier, mais ce n’est jamais moi qui commence la dispute. Je crie parce qu’on me dit des choses qui me font crier.
- Puisque tu avoues que tu as crié le premier, c’est à toi de faire le premier pas…Si tu veux, je vais lui dire que tu regrettes ce qui s’est passé, qu’une amitié de trente ans ne peut pas finir aussi bêtement…Qu’en penses-tu ?
- J’en pense que si tu tiens absolument à lui dire quelque chose de ma part, je te charge de lui affirmer que je suis heureux d’être enfin délivré de cet esclavage et que, par sa perfidie, il vient de me rendre un grand service.
-Et ma pièce ?
- Tu n’as qu’à la lui reprendre : je la jouerai ailleurs. »
Il me quitta brusquement en faisant sonner le trottoir sous ses talons.
En rentrant dans le hall, j’y trouvai Léon. Il vint vers moi, l’œil mauvais.
« Qu’est-ce qu’il t’a dit, cet imbécile ?
-Evidemment, il n’est pas content…Il a été surpris par cette décision extraordinaire…Mais j’ai l’espoir qu’avant trois jours il reviendra s’expliquer et, sans doute, s’excuser…
- Ce serait amusant ! Ça ma plairait de le mettre à la porte une seconde fois ! Par qui veux-tu que je le remplace ?
- personne ne peut le remplacer. Il nous manque déjà Fresnay et Alida. Sans lui, il vaut mieux remettre Fanny à l’année prochaine. Parce que je vous connais tous les deux et je sais bien que tout ça finira par un grand dîner quand ça sera trop tard.
- Jamais, entends-tu ? Jamais ce monsieur ne reparaîtra dans mes théâtres. Jamais ! Tu peux le lui dire de ma part. »
Ce fut donc Harry Baur, Berval et Madame Chabert qui tinrent sur scène les rôles de César, Marius et Honorine.
Mais, pour la version filmée, le public attendait Raimu, Fresnay et Alida Rouffe.
Il fut assez pénible de reprendre aux comédiens de théâtre les rôles qu’ils avaient créés sur scène pour les rendre sur l’écran aux interprètes du film précédent.

NARRATEUR
Puis un jour le fil de l’amitié, tant de fois distendu, cassé et renoué, se rompt à jamais. La mort sépare les deux amis.

LETTRE IMAGINAIRE DE JOSEPH A MARCEL

Mon très cher fils,
Ce matin, la radio semblait n’avoir été inventée que pour ton ami Jules.
C’était Jules-César du bar de la Marine, Jules-Aimable le boulanger, Jules-Amoretti le puisatier. Il tenait la scène de toute son immense présence.
Alors, j’ai compris qu’il était mort.
Ici, c’est la consternation. Les gens chuchotent par petits groupes et les femmes ont des larmes aux yeux.
Maintenant que sa voix s’est tue, c’est extraordinaire comme elle résonne dans la tête.
Marcel, tu dois être désemparé. Elle était tellement démesurée, l’affection qui vous unissait ! Je sais ce qu’il représentait pour toi.
Ce n’est pas un vide qu’il laisse, n’est-ce pas, c’est un abîme.
Lequel de vous deux a eu le plus de chance : lui de t’avoir eu comme auteur ou toi de l’avoir eu comme acteur ?
C’est une question que je me suis souvent posée.
S’il n’y avait pas eu Homère, on n’aurait pas su grand-chose d’Ulysse. Mais, s’il n’y avait pas eu Ulysse, on n’aurait jamais entendu parler d’Homère.
Seuls, nous ne sommes rien. On a toujours besoin des autres.
J’ai peur que tu aies le plus grand mal à lui trouver un successeur du même gabarit ? Des Raimu, s’in en existe un par millénaire, c’est le bout du monde.
Tu devrais venir passer quelques jours ici. Les collines sont belles en septembre, souviens-toi. C’était l’époque des bartavelles du côté de Passe-temps. L’air pur te ferait le plus grand bien.
Mon cher petit, je pense beaucoup à toi.
Ton père, Joseph

MARCEL PAGNOL

Adieu à Raimu.
On ne peut pas faire un discours sur la tombe d’un père, d’un frère ou d’un fils ; tu étais pour moi les trois à la fois ; je ne parlerai pas sur ta tombe.
D’ailleurs, je n’ai jamais su parler et c’était Raimu qui parlait pour moi.
Ta grande et pathétique voix s’est tue et mon chagrin fait mon silence.
Devant Delmont qui pleurait sans le savoir, Jean Gabin a croisé tes mains sur ta poitrine ; j’ai pieusement noué le papillon de ta cravate et tous ceux de notre métier sont venus te saluer.
Longuement, nous avons médité devant cette lourde statue de toi-même. Nous avons découvert ce masque si noble que la vie nous avait caché.
Pour la première fois, tu ne riais pas, tu ne criais pas, tu ne haussais pas tes larges épaules. Et pourtant, tu n’avais jamais tenu autant de place, et cette présence de marbre nous écrasait par ton absence.
Alors, nous avons su qui tu étais.
Des journalistes, des cinéastes, des comédiens arrivaient par(dessus les frontières. Toi qui n’étais que notre ami, nous avons vu tout à coup que ton génie faisait partie du patrimoine de la France, et que des étrangers qui ne t’avaient jamais rencontré vivant pleuraient de te voir mort. Tu prenais sous nos yeux ta place brusquement agrandie.
Et puis, il est venu des hommes qui ont enfermé dans un coffre énorme tant de rires, tant de colères, tant d émotion, tant de gloire, tant de génie.
Par bonheur, il nous reste des films qui gardent ton reflet terrestre, le poids de ta démarche et l’orgue de ta voix…Ainsi, tu es mort, mais tu n’as pas disparu. Tu vas jouer ce soir dans trente salles et des foules vont rire et pleurer : tu exerces toujours ton art, tu continues à faire ton métier et je peux mesures aujourd’hui la reconnaissance que nous devons à la lampe magique qui rallume les génies éteints, qui refait danser les danseuses mortes et qui rend à notre tendresse le sourire des amis perdus.

NARRATEUR

Six mois plus tard, Marcel Pagnol entrait à l’Académie Française porté par le fantôme de Jules, César, Auguste Muraire descendu de son étoile pour ne pas manquer ça.
Sous la coupole, Marcel, dans son habit vert sans bougnettes, était plus élégant que Jules ne l’avait jamais été.
Devenu « immortel », il offrait aussi son immortalité à tous ceux qui avaient contribué à la sienne : ses parents, ses amis, ses interprètes.
Joseph Pagnol, ce jour-là, dut enfin être vraiment fier de son fils.
Marcel n’avait pas oublié l’évangile laïque de son père Joseph, l’instituteur d’Aubagne, ses leçons d’instruction civique : la République récompense ses enfants les plus méritants en les décorant des Palmes académiques, du Mérite agricole, ou mieux, de la Légion d’honneur, en les nommant à des postes officiels, en donnant leur nom à des places ; à des boulevards, à des écoles, en les enterrant au Panthéon.
Marcel était fier et heureux d’avoir été faut Grand-Croix de la Légion d’honneur, d’avoir été élu président de la Société des auteurs, d’avoir sa photographie dans les dictionnaires.
Il était fier et heureux d’être à l’Académie française. Tout simplement.
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