LEO REYRE
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 LA GLOIRE DU FILS

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Leo REYRE
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Leo REYRE


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MessageSujet: LA GLOIRE DU FILS   LA GLOIRE DU FILS I_icon_minitimeMar 7 Sep - 10:40

LA GLOIRE DU FILS Ccf06017

LA GLOIRE DU FILS

NARRATEUR

Une cour d’école 3e République sur laquelle donnent les portes et les fenêtres de plusieurs classes. A l’étage, les logements de fonction.
On entend des élèves réciter des litanies de départements avec préfectures et sous-préfectures.
On entend d’autres élèves réciter leur leçon d’histoire sur l’Alsace et la Lorraine.
Un instituteur, un « hussard de la République », apparaît sur le seuil d’une porte.
Il tient un bambou à la main et s’adresse à ses élèves restés à l’intérieur de la classe.

JOUÉ

« …Et puis toi, Marcel, arrête de faire le zouave. Tes pitreries n’amusent que les ânes. Mets-toi plutôt au tableau et surveille un peu la classe. J’ai quelque chose à dire à ta mère. Tu m’entends, Marcel ?
( pour lui) … C’est pas possible, un enfant pareil… Sous prétexte qu’il a su lire sans avoir appris, il fait toujours l’intéressant…Il faut toujours qu’il invente quelque chose pour divertir la classe. C’est un enfant, je l’admets, mais c’est le mien ! Bon sang, ce n’est quand même pas en amusant ses petits copains qu’il pourra gagner sa vie !
(Il s’éloigne de la façade et s’adresse à une fenêtre du premier étage)
Augustine ! Augustine !
(La machine à coudre se tait et Augustine apparaît)
Dis, Augustine, pense à me faire fondre un peu de colle forte. J’ai encore quatre chaises à rafistoler et j’aimerais bien les finir ce soir. Si tu as un peu de temps, tu me tries les barreaux. Bergougnas m’a bien dit qu’il y en a plus que ce qu’il faut mais ça ne veut pas dire que ce soient les bons. Bergougnas, je l’aime bien, mais je me méfie des brocanteurs et de tous ceux qui bouchent les trous avec de la cire pour faire croire que ce n’est pas vermoulu. Et…
(Il hume l’air)
Augustine, va vite voir tes tripous ! J’ai l’impression qu’ils attrapent.
(A ce moment, un élève, l’index en l’air, apparaît sur le pas de la porte. Il pleurniche)
M’sieur, Marcel m’a appelé Merlusse !
-Et qu’est-ce que c’est une merlusse, mon petit Escartefigue ?
-Un gros mot, M’sieur.
-Parfaitement, mon petit, un gros mot qui vient du patois merlusso qui signifie morue.
Marcel t’a donc appelé morue et non merlusso car Marcel sait très bien que dans une école de la République il est interdit d’employer des dialectes et des patois. C’est bien morue, n’est-ce pas ?
-Ben…Euh !... Sûrement, M’sieur.
-Mais alors, mon petit, où est le gros mot ? Dire à quelqu’un morue, c’est comme si on lui disait : poulet, pinson, canaris, cigalon,…
(A Augustine)
Ils étaient attrapés ?
(A l’élève)
…ou encore mon petit poussin, mon joli poisson rouge. C’est même plutôt gentil…et puis c’est un mot de notre belle langue française. Morue, tu te rends compte que des pêcheurs affrontent les tempêtes de Terre Neuve pour pêcher ce poisson…Parfois leurs bateaux sont engloutis…
(Un autre élève, en pleurs)
M’sieur, Marcel m’a appelé maquereau.
Augustine, revenue à la fenêtre, appelle)
Joseph, Paul a encore avalé une couenne de lard ! Qu’est-ce que je fais ?
-Fais comme d’habitude : pends-le par les pieds et tape-lui dans le dos.
(Joseph rentre dans sa classe)
Marcel, il faudra que je te dise deux mots après la cloche. Et ne fais pas l’innocent : je connais ton cinéma.

MARCEL PAGNOL
Je suis né dans la ville d’Aubagne, sous le Garlaban couronné de chèvres, au temps des derniers chevriers.
Garlaban, c’est une énorme tour de roches bleues, plantée au bord du Plan de l’Aigle, cet immense plateau qui domine le verte vallée de l’Huveaune. La tour est un peu plus large que haute mais comme elle sort du rocher à six cents mètres d’altitude, elle monte très haut dans le ciel de Provence et parfois un nuage blanc de mois de juillet vient s’y reposer un moment.
…Mon père était le cinquième enfant d’un tailleur de pierres de Valréas, près d’Orange.
La famille y était établie depuis plusieurs siècles. D’où venaient-ils ? Sans doute d’Espagne car j’ai trouvé, dans les archives de la mairie, des Lespagnol puis des Spagnol.
De plus, ils étaient armurier de père en fils et trempaient des épées dans les eaux de l’Ouvèze, occupation, comme on le sait, noblement espagnole.
Cependant, parce que la nécessité du courage a toujours été inversement proportionnelle à la distance qui sépare les combattants, les tromblons et les pistolets remplacèrent bientôt les espadons et les colichemardes : c’est alors que mes aïeux se firent artificiers, c’est-à-dire qu’ils fabriquèrent de la poudre, des cartouches et des fusées.
L’un d’eux, un arrière-grand-oncle, sortit un jour de sa boutique à travers une fenêtre fermée, dans une apothéose d’étincelles, entouré de soleils tournoyants, sur une gerbe de chandelles romaines.
Il n’en mourut pas mais, sur sa joue gauche, la barbe ne repoussa plus. C’est pourquoi, jusqu’à la fin de sa vie, on l’appela « Lou Rousti », c’est-à-dire le Rôti.
C’est peut-être à cause de cet accident spectaculaire que la génération suivante décida –sans renoncer aux cartouches ni aux fusées- de ne plus les garnir de poudre et ils devinrent cartonniers, ce qu’ils sont encore aujourd’hui.
Voilà un bel exemple de sagesse latine : ils répudièrent d’abord l’acier, matière lourde, dure et tranchante ; puis la poudre qui ne supporte pas la cigarette et ils consacrèrent leur activité au carton, produit léger, obéissant, doux au toucher et, en tout cas, non explosible.
Cependant, mon grand-père, qui n’était pas monsieur l’aîné, n’hérita pas de la cartonnerie et il devint, je ne sais pourquoi, tailleur de pierres. Il fit donc son tour de France et finit par s’établir à Valréas, puis à Marseille.
Mon père, qui s’appelait Joseph, était alors un jeune homme brun, de taille médiocre sans être petit. Il avait un nez assez important mais parfaitement droit et, fort heureusement raccourci par sa moustache et ses lunettes dont les verres ovales étaient cerclées d’un mince fil d’acier. Sa voix était grave et plaisant et ses cheveux, d’un noir bleuté, ondulaient naturellement les jours de pluie.
Il rencontra un jour une petite couturière brune qui s’appelait Augustine et il la trouva si jolie qu’il l’épousa aussitôt.
Je n’ai jamais su comment ils s’étaient connus car on ne parlait pas de ces choses-là à la maison. D’autre part, je ne leur ai jamais rien demandé à ce sujet car je n’imaginais ni leur jeunesse ni leur enfance.
L’âge de mon père, c’était vingt-cinq ans de plus que moi et ça n’a jamais changé.
Ils étaient mon père et ma mère, de toute éternité et pour toujours.


NARRATEUR

Joseph était un saint laïque. Il buvait essentiellement de l’eau, il ne proférait jamais un seul gros mot et il était d’une honnêteté viscérale. Il éleva ses enfants dans ses convictions comme un guide exemplaire et vertueux.
C’était un saint laïque car il fallait démontrer que la morale et le civisme n’étaient pas forcément et exclusivement dans l’Evangile.
Peut-être est-ce par réaction à cette éducation que Marcel écrivit un jour Topaze, pièce où il glorifie l’argent…même si cet argent a une odeur.
C’est d’ailleurs cette pièce sur l’argent qui fit tout de suite sa fortune.
Réaction aussi quand il situe le centre de sa trilogie dans le Bar de la Marine, un « assommoir » comme disait Joseph, un lieu de perdition avec ses habitués rougeauds imbibés de pastis.
Réaction encore lorsque Fanny, Angèle, Patricia, ses héroïnes se retrouvent toutes trois filles mères, le pire déshonneur qui soit dans les familles…surtout en pays méditerranéen…surtout à cette époque.
Cependant, s’il s’agit d’une réaction à l’encontre de l’image du père, elle n’a pu se faire qu’à son insu car Marcel a toujours voué une admiration fervente à son géant de père qui tirait si bien aux boules; une admiration fervent et un amour profond qui fuse parfois de ses récits.
Par exemple quand le jeune Marcel, à propos de la chasse, supporte mal l’idée de voir son héros réduit au rôle d’apprenti :

MARCEL PAGNOL

L’oncle Jules avait parlé toute la soirée en savant et en professeur tandis que mon père, lui qui était examinateur au Certificat d’Etudes, l’avait écouté d’un air admiratif, d’un air ignare, comme un élève.
J’étais honteux et humilié.
Le lendemain matin, pendant que ma mère versait le café dans mon lait, je lui fis part de mes sentiments :
« Ça te plaît, toi, que papa aille à la chasse ?
-Pas trop, me dit-elle. C’est un amusement dangereux.
-Tu as peur qu’il tombe dans l’escalier avec ses cartouches ?
-Oh non ! dit-elle. Il n’est pas si maladroit…mais tout de même, cette poudre, c’est traître.
-Eh bien, moi, ce n’est pas pour ça que ça ne me plaît pas.
-Alors, c’est pourquoi ? »
J’hésitai un instant que je mis à profit pour avaler une bonne gorgée de café au lait.
« -Tu n’as pas vu comment l’oncle Jules lui parle ? C’est toujours lui qui commande et qui parle tout le temps !
-C’est justement pour lui apprendre… et il le fait par amitié.
-Moi, je vois bien qu’il est rudement content d’être plus fort que papa. Et ça ne me plaît pas du tout. Papa le gagne toujours, aux boules ou aux dames. Et là, je suis sûr qu’il va perdre. Je trouve que c’est bête de jouer à des jeux qu’on ne sait pas. Moi, je ne joue jamais au ballon parce que j’ai les mollets trop petits, et les autres se moqueraient de moi.
Mais je joue toujours aux billes, ou aux barres, ou à la marelle parce que je gagne presque toujours.
-Mais, gros bêta, la chasse, ce n’est pas un concours ! C’est une promenade avec un fusil et puisque ça l’amuse, ça lui fera beaucoup de bien. Même s’il ne tue pas de gibier.
-S’il ne tue rien, eh bien moi, ça me dégoûtera. Et moi, je ne l’aimerai plus. »
J’avais une petite envie de pleurer que j’étouffai d’une tartine. Ma mère le vit bien et elle vint m’embrasser.
« Tu as un peu raison, me dit-elle. C’est bien vrai qu’au commencement, papa sera moins fort que l’oncle Jules. Mais au bout d’une semaine, il sera aussi adroit que lui et, dans quinze jours, tu verras que c’est lui qui lui donnera des conseils ! »
Elle ne mentait pas pour me rassurer. Elle avait confiance. Elle était sûre de son Joseph. Mais moi, j’étais dévoré d’inquiétude comme le seraient les enfants de notre vénéré président de la République s’il leur confiait son intention de s’engager dans le Tour de France cycliste.

NARRATEUR

Inquiétude puérile ? C’est possible mais on peut en douter car Marcel est un enfant sexagénaire lorsqu’il raconte ses souvenirs et il est probable qu’il avait la gorge nouée en évoquant cet épisode de son enfance.
L’amour filial franchi allègrement les barrières de l’âge et le rappel de l’enfance permet d’extérioriser enfin les sentiments qu’on n’a pas su exprimer sur l’instant par inexpérience ou parce qu’on en ignorait l’importance.
D’ailleurs, Marcel revient souvent à Joseph lorsqu’il a besoin d’exemples pour illustrer ses commentaires.
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