LEO REYRE
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 LA GLOIRE DU FILS 4

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Leo REYRE
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Leo REYRE


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MessageSujet: LA GLOIRE DU FILS 4   LA GLOIRE DU FILS 4 I_icon_minitimeMar 7 Sep - 10:47

LETTRE IMAGINAIRE DE JOSEPH A MARCEL

Mon grand,
Que tu aies mis un maître d’école au milieu des escrocs, que tu en aies fait un semblant d’escroc lui-même, même si tu l’as fait plus malin que les autres, ce n’est pas ce qui me fait le plus plaisir. Mais ça, tu dois t’en douter sans que j’aie besoin de te le rappeler.
Il paraît que ça plaît et que les Parisiens te font un triomphe.
Dans la rue, des gens que je ne connais pas me félicitent de t’avoir comme fils et, souvent, dans mon dos, j’entends dire :
« C’est le père de Marcel Pagnol. »
Et, quand je me retourne, ils me font un large sourire ou un petit geste amical.
Avant, on disait de toi :
« C’est l’aîné de Joseph Pagnol, l’instituteurs des Chartreux. »
Ou encore :
« C’est le petit de celui des bartavelles. »
Si tous ces inconnus me reconnaissent à travers toi, et s’ils ne me montrent pas du doigt de l’infamie comme si j’étais un criminel, c’est sans doute que tu as fait un chef-d’œuvre.
Alors, je mets mes principes dans mon chapeau et je m’y assois dessus : on n’en parle plus.
Mais voilà que j’apprends par le Petit Provençal que tu as écrit une autre pièce et que tu veux la faire jouer à Paris. Une histoire marseillaise.
Malheureux ! Tu cours à la catastrophe !
Ils vont te prendre pour un provocateur.
Crois-moi, Marcel : renonce.
Les histoires marseillaises sont pour les Marseillais : ça les amuse et ils sont les seuls à en rire.
J’apprends de même source que ta pièce marseillaise se déroulerait presque entièrement dans un café du Vieux Port.
Tu te rends compte : un café ! Pense au mauvais effet que ça va faire.
Ah ! Marcel ! Tu me fais vieillir !
Et puis, à Paris, tu ne trouveras jamais assez de comédiens avec l’accent qu’il faut. Tu risques le ridicule.
Moi, je les entends, les gens de Paris quand ils singent notre accent ! Qu’on se moque des Méridionaux, qu’on se moque de toi, ça ne te fait peut-être rien. Mais moi, ça me ferait énormément de la peine si on me disait un jour :
« Votre fils a fait une belle couillonnade. »
L’accent, ça s’emprunte mais ça ne s’imite pas et le notre encore moins que les autres.
L’accent du Midi, si on l’emprunte, on ne le rend jamais en bon état. Il paraîtrait, au dire de Mélanie, ma femme de ménage qui lit par-dessus mon épaule, que tu engagerais des comédiens Marseillais. Déjà, ça serait moins grave.
Mais il ne faudrait pas qu’on pense que tu utilises des Marseillais pour que les Parisiens se moquent d’eux. On ne te le pardonnerait pas et il faudrait que tu te caches chaque fois que tu viendrais passer quelques jours chez ton père.
Soit dit en passant, heureusement que j’ai les journaux, sinon je ne saurais pas ce que tu deviens.
Je sais que tu ne prendras pas mes conseils pour des remontrances. Je connais bien les plantes des collines : les térébinthes, les cistes cotonneux, la sarriette…. Mais pour ce qui est du théâtre… à part Molière…
Je n’en dis pas plus car je sens que mon côté pédagogue me reprend. C’est comme le paludisme…Et pour te dire la totale vérité, Mélanie m’a préparé un lapin au thym et aux gousses d’ails dont tu peux imaginer le fumet. J’en salive.
Ici, nous pensons beaucoup à toi.
Avec toute mon affection
Ton père Joseph.





MARCEL PAGNOL

Les spectateurs allaient s’intéresser à ce Marius, dont le nom était le titre de la pièce. Le rôle était très important. Il était en scène toute la soirée… Je vis tout à coup passer dans la foule un jeune homme, qui me dit bonjour de la main : c’était Fresnay. Je m’élançai vers lui, le pris par le bras et l’amenai, tout surpris à Volterra.
« Le voilà, dis-je. C’est lui que je veux.
-Tu me veux pour quoi ? dit Fresnay.
-Pour jouer Marius. Assieds-toi. Est-ce que tu es libre ?
- En principe oui. J’ai des propositions, mais je n’ai encore rien signé. »
Pierre s’était assis. »Marius, dit-il, c’est une tragédie ? »
Je lui exposai notre affaire.
« Tu sais que je n’ai pas l’accent marseillais, dit-il. Mais il est possible que je puisse le prendre. C’est à voir.
-Quel est votre prix ? demanda Léon.
-Mille francs par jour.
C’est cher, mais je suis d’accord. Accepterez-vous de passer après Raimu sur l’affiche ? Son contrat lui donne la première vedette.
-Ça m’est égal, dit Fresnay. D’ailleurs, il est plus âgé que moi.
-Dans ce cas, c’est fait, dit Léon. »
Je rédigeai un contrat de cinq lignes, que Léon signa sans dire un mot ; mais Fresnay repoussa la plume que je lui tendais.
« Je vous demande la permission de ne pas signer tout de suite. Il faut d’abord que je lise la pièce pour voir si le rôle est dans mon emploi, puis que j’essaie mon accent. Je ne veux pas aller à un désastre.
-Je vous comprends, dit Léon. Prenez toujours le contrat. Quand me le rendrez-vous signé ? »
Fresnay réfléchit un instant.
-Pas avant dix jours. J’ai mon idée.
-Bon, dit Léon. »
Le lendemain, je reçus un pneumatique de Raimu.
Lorsqu’il était en colère, il prenait un gros crayon bleu et rédigeait, d’une écriture énorme et furieuse, des messages agressifs.
« Ça, c’est un comble ! Marius, un Alsacien ! C’est un bon acteur, mais il est Alsacien ! C’est de la folie ! On veut te saboter ta pièce. Et toi, comme le ravi de la crèche, tu te laisses faire par Volterra ! Oh il est fort, il est très fort ! »
Suivait une grande signature, puis un post-scriptum :
« De plus, il est protestant. Je déjeune chez Titin. »C’est là que je trouvai Jules, qui visiblement m’attendait, car à ma vue, il cria :
« Titin, mets la bouillabaisse au feu ! »
Je l’attaquai aussitôt sur son point le plus faible :
« Pourquoi reproches-tu à Fresnay d’être protestant ?
-Je ne reproche pas, je constate.
Les protestants sont des gens sévères, des gens tristes, qui ne plaisantent pas, qui ne rient jamais…
-Tout justement, Fresnay rit volontiers… Moi, je l’ai vu rire, oui, parfaitement.
-Ho ! Ho ! dit Jules triomphal, si tu l’as remarqué, c’est qu’il rit une fois par mois. Et d’ailleurs, c’est bien simple : les protestants ne sont jamais patrons de bar ! Leur religion le leur défend.
-Où as-tu pris ça ?
-Je le sais et tout le monde le sait.
-Eh bien moi, je ne le sais pas.
-Tu as beau avoir été professeur, tu ne sais pas tout. On n’apprend pas ça dabs les écoles.
-Mais toi, dis-moi où tu l’as appris ! »
Il appela Titin à son secours.
« Titin, est-ce que tu connais un patron de bar Protestant ?
-Non, Je n’en connais pas…Mais je n’en connais pas non plus de catholique…Il faut dire qu’entre nous, on ne parle guère de ces choses-là.
-Comment ! cria Jules indigné, mais toi, toi, est-ce que par hasard tu ne serais pas baptisé ?
-Voui, voui, moi, je suis baptisé ! Baptisé à l’église !
-Donc, quand tu me dis que tu ne connais pas un patron de bar catholique, tu mens.
-Mais on ne parle pas de moi !
-Mais si ! dit Jules, puisqu’on parlait des patrons de bar ! Ici, ce n’est pas une sacristie, ce n’est pas une clinique, c’est un bar ! Et en plus, en plus, ce protestant est Alsacien !
-O malheur ! dit Titin. Marius alsacien ! C’est pas possible !
-Eh bien, monsieur a engagé M. Fresnay, très bon comédien, mais Alsacien et protestant pour jouer Marius ! Et en plus, en plus, c’est un tragédien de la Comédie Française !
-Oyayaîe !
- Jules, parlons sérieusement.
- Je ne fais que ça depuis une heure !- Ton histoire de protestant ne tient pas debout. Ce qui est grave, c’est le fait qu’il ne soit pas de chez nous.
-C’est toujours très difficile de prendre l’accent marseillais dans un rôle aussi long. Pour un Alsacien protestant de la Comédie Française, c’est impossible.
-Ce n’est pas sûr. En tout cas, il comprend parfaitement la difficulté de la chose.
-Il ne comprend pas puisqu’il a signé !
-Volterra a signé. Lui, non. Il a demandé quinze jours pour travailler son accent. Si nous n’en sommes pas satisfaits, il rendra sa signature à Léon.
-Moi, je dis qu’il ne la rendra pas parce qu’il croira qu’il a l’accent marseillais.
- Il accepte que nous soyons juges. Et d’autre part, il accepte de passer après toi sur l’affiche.
- Tu as vu son contrat ?
- C’est moi qui l’ai rédigé. Et d’ailleurs, tu sais bien que toi-même tu dois avoir la première vedette.
- Je dois l’avoir dans les revues ; mais il n’est pas question des pièces de théâtre. J’avais peur que Léon discute là-dessus avec sa perfidie habituelle.
-Il m’a prouvé sa « perfidie » en affirmant à Fresnay qu’il t’avait garanti la première vedette dans tous les cas. Quoique ce soit tout naturel, ça prouve qu’il est raisonnable…Enfin, ce qui est fait est fait.
- Je le connais, moi, ce Fresnay, dit Titin. C’est un garçon de premier ordre. Il est beau, sympathique, et poli ! il ne vous dirait pas merde sans lever son chapeau !
- Après tout, on peut essayer, dit Jules. Nous lui donnerons des leçons d’accent…Tu devrais lui téléphoner, et lui demander s’il ne peut pas dîner avec nous ce soir. »
Il était parti le matin même à Marseille.
Quinze jours plus tard, c’était la première répétition. Je lus la pièce aux acteurs, sur le plateau, devant le théâtre vide. Fresnay n’était pas encore arrivé.
A cinq heures, la répétition commença. Je lisais le rôle de Marius. Nous cherchions les places, le mouvement, lorsque Fresnay arriva. Il portait le tablier bleu du patron de bar, un accroche-cœur esquissé sur le front, une cigarette sur l’oreille, un petit mouchoir noué autour du cou. Il alla s’installer derrière le comptoir et, tout en rinçant un verre, il dit :
« Si je ne puis pas offrir une tasse de café, qu’est-ce que je suis ici ? »
Jules devint instantanément César et répliqua avec force :
« Tu es un enfant, un enfant qui doit obéir à son père. Moi, il a fallu que j’attende l’âge de trente deux ans pour que mon père me donne son dernier coup de pied au derrière. Voilà ce que c’était que la famille, de mon temps.
Il y avait du respect et de la tendresse. »
Fresnay fit un sourire et, à mi-voix, il répliqua :
« A coups de pied. »
Il parlait avec l’accent inimitable du Vieux-Port.
Alors, Jules se tourna vers moi et dit :
« Ça y est. C’est gagné.
Ces quinze jours d’absence, il les avait passés dans un petit bar du Vieux-Port après avoir gagné l’amitié du garçon qui étai, comme Marius, le fils du patron. Il avait essuyé les tables, rincé les verres et pris part à ces conversations marseillaises où des inconnus vous racontent leur vie qui est toujours « un véritable roman ». Au départ, il avait emporté, en souvenir, le tablier bleu et la casquette du garçon : il devait les porter tous les soirs pendant trois ans, avec un accent marseillais si naturel qu’il lui fallut plusieurs années pour s’en délivrer.

NARRATEUR

Pagnol et l’amitié
Quand on pense à Pagnol, on pense à un ami. D’ailleurs, l’amitié qu’il inspire transparaît ou même éclabousse son œuvre.
A tel point qu’on se demande parfois si Marcel Pagnol choisissait ses interprètes en fonction de leur talent ou pour simple raison d’affinité. Les témoignages foisonnent. Tous font état de liens affectifs profonds entre le maître et ses familiers qu’ils soient comédiens, machinistes, accessoiristes…
L’impression que laissent ces témoignages est celle d’une équipe solidaire et égalitaire dans laquelle on se tutoie, dans laquelle on trinque souvent, dans laquelle on plaisante, dans laquelle on reste naturel…
Une équipe dans laquelle tout devient facile comme si l’amitié faisait le talent et comme si le talent devenait génie par amitié…
Mais si l’amitié d’enfance, celle de Lili des Bellons, paraît naturelle et profonde comme par vocation, les amitiés d’adultes aux assises moins profondes sont parfois plus fragiles, plus friables.
Pagnol et Raimu s’adoraient : leurs accrochages et leurs fâcheries sont légendaires.
Pagnol et Fernandel s’adoraient : ils restèrent en froid pendant vingt ans.
Pagnol et Giono s’adoraient : mais l’un parlant de l’autre l’appelait le Babi et l’autre parlant de l’un le désignait comme un traître.
Raimu et Fernandel s’adoraient : ils se jalousaient pour un gros plan ou pour la durée d’une séquence, pour la taille d’un nom sur une affiche.
Mais quelle belle amitié entre tous les quatre !
Pagnol aurait-il été Pagnol sans Raimu, sans Fernandel, sans Giono ?
Sans cette relation mystérieuse et cette interdépendance qui unit les créateurs et les interprètes, y aurait-il eu la trilogie, Angèle, Regain, La femme du boulanger, la fille du puisatier ?







JOUÉ

(La chambre d’Angèle à Marseille. Saturnin, le valet un peu demeuré, frappe à la porte)
Angèle : Qu’est-ce que c’est ?
Saturnin : Une visite…
A : Entrez…
(Saturnin entre avec ses fleurs dans les bras)
S : Bonjour, demoiselle, c’est moi, Saturnin. Excusez-moi de te dire Mademoiselle ; je devrais plutôt t’appeler Madame ; mais c’est à cause d’une vieille habitude… Je t’apporte ces fleurs que j’ai cueillies devant la ferme et je t’apporte avec ces fleurs des nouvelles de chez nous.
A (épouvantée) : Saturnin…
S : Eh oui, Saturnin, toujours le même par malheur…
A : D’où viens-tu ?
S : Eh ! Demoiselle, d’où veux-tu que je vienne…De la maison…Enfin, de l’ancienne maison…Hum…Je passais par hasard, n’est-ce pas, alors j’ai vu en bas un commerçante du quartier ; elle m’a dit : « Elle habite là-haut ». Alors, moi, j’ai pensé : « Je vais lui donner des nouvelles, voilà… » Tu n’as pas donné ton adresse, tu as tes raisons pour ça…Je veux pas les savoir, ça ne me regarde pas…Situ me défends de dire que je t’ai vue, je le dirai pas.
Mais enfin, j’ai pensé : « Peut-être que ça lui fera plaisir de savoir ce qui se passe à la maison… » Alors, je suis monté pour te le dire.
A : Mon père ?
S : Il se porte bien, lui. Il es comme ça…Enfin, comme ça…comme ça, quoi. Enfin, il est superbe.
A : Et maman ?
S : Oh ! Maman Philomène ! Elle est joyeuse, elle chante toute la journée.
A : Elle chante ?
S : Oh ! Elle chante pas fort…Enfin, elle chantonne…Elle est joyeuse, quoi. Remarque, Demoiselle : que tu sois partie, ça ne nous a pas fait plaisir ; mais enfin, nous avons compris. Tu as suivi mon conseil, tu as pris un monsieur de la ville. Tu l’as, tu es heureuse, je le vois…Ça se comprend. Nous nous sommes fait une raison…A part ça tout va bien…Le verrat aussi se porte bien…
A : Saturnin !
S : Le verrat, il est superbe ; il est actif…C’est une merveille…Le mulet aussi, il va bien. Il vieillit un peu, naturellement ; mais moi aussi…Hum ! Dans le jardin, nous avons fait des pommes de terre. Elles sont bien. Elles viennent bien… Dans le pré, cette année, il est venu un peu de jonc.
Mais ça ne fait rien, ce n’est pas grave : l’herbe est épaisse, elle vient bien…Enfin quoi, tout va bien…Tout est magnifique…Et toi, Demoiselle ?
A : Moi, Saturnin, tu vois, je suis ici…
S : C’est joli !... Ici, c’est ta chambre ?
A : Oui.
S : Et l’appartement, il est grand ?
A : quel appartement ?
S : Le tien…Là où tu Habites.
A : C’est ici que j’habite, Saturnin.
S : C’est joli…Ce n’est pas grand mais c’est joli…Mais ton mari, il n’est pas ici ?...Il est peut-être à son bureau ?
A : Je n’ai pas de mari, Saturnin.
S : Ah !
A : Je n’ai pas de mari et, tu vois, j’ai un enfant.
S : Cet enfant, il n’a pas de père ?
A : Non, il n’a pas de père…
S : Oh ! Bon Dieu ! Quelle nouvelle ! Ça alors, c’est une nouvelle…Mais où il est, celui qui te l’a fait ?
A : Je ne sais pas…Il doit être loin…C’était un marin du Nord, tout blond, qui parlait même pas le français. Enfin, je crois qu’il est le père, parce que mon enfant lui ressemble, et encore, je ne suis pas sûre qu’il lui ressemble à ce marin ; Je l’ai si peu vu…Un soir,il passait là…Saturnin, tu vois ce que je suis : une fille des rues.
S : Mais alors, Demoiselle, qu’est-ce que tu manges ?
A : Ecoute…Je veux tout te dire pour que tu ne reviennes plus…Tu te rappelles, à Meyrargues, le café de Madame Lucien ?
S : Oui, je m’en souviens.
A : Tu sais, Madame Lucien et ses servantes, tu sais ce qu’elles faisaient pour gagner des sous ?...
S : Oh ! Demoiselle ! Ne dis pas des choses comme ça…Surtout toi…Ce n’est pas convenable.
A : Et pourtant, c’est ça que je fais…C’est ça mon métier…
S : Demoiselle, ne dis pas ça…Ne dis pas ça…Ce n’est pas vrai…
A : C’est vrai, par malheur, c’est vrai, Saturnin…
S : Ecoute, Angèle, de pleureur, ça mouille et ça ne sert à rien. Parlons de tout ça bien posément, comme si c’était pas toi, et comme si c’était pas moi…J’ai la comprenure difficile, c’est vrai. Mais quand il s’agit de toit, je comprends tout.
A : Va-t’en, Saturnin !...Je sens bien que je te dégoûte…
S : Qu’est-ce que tu inventes, Demoiselle ? Pour moi, tu es toujours la même… Toi, tu es toujours notre Angèle. Bien sûr, c’est horrible ce qui t’est arrivé. Mais quoi !...C’est aussi de ma faute…
A : Mais non, mais non…
S : Mais si, c’est de ma faute. C’est moi qui te disais toujours : «Il te faut un Monsieur de la ville. »
A : Oui, tu me le disais…Mais quand même, ce n’est pas toi qui m’as dit d’appeler les passants dans la rue ?...
S : Oh ! Ça non, je te l’ai jamais dit…Ecoute, ce qui t’arrive en ce moment, voilà comment je le comprends… C’est comme si on me disait : « Notre Angèle est tombée dans un trou de fumier. » Alors moi j’irais, et je te prendrais dans mes bras, et je te laverais bien. Et je te passerais des bois d’allumettes sous les ongles, et je te tremperais les cheveux dans l’eau de lavande pour qu’il ne me reste pas une paille, pas une tache, pas une ombre, rien… Je te ferais propre comme l’eau, et tu serais aussi belle qu’avant. Parce que, tu sais, l’amitié, ça rapproprie tout, tout, tout…Et si un jour, par fantaisie, tu venais me dire : « Saturnin, tu te rappelles le jour où je suis tombée dans le fumier ? » Moi, je te dirais : « Quel fumier ?...Où ?...Quand ?...Comment ?... » Moi, je t’ai vue si petite, que je te vois propre comme tu es née.
A : Saturnin…
S : Ecoute, Angèle, parlons comme il faut. Quand tu es partie, tu n’étais pas seule ! Tu avais un homme pour te protéger.
A : Pour me protéger ? C’est lui qui m’a mise où je suis !
S : Pourquoi ? C’est parce qu’il était malade. Alors toi, par bonté, par dévouement…
A : Par bêtise, par lâcheté…
S : Ah ! Tu l’aimes pas ?
A : Si j’avais pas mon enfant, je le tuerais, je le tuerais…
S : Oh ! Ça va mal…Ça va mal…Angèle, on part tout de suite, fais tes paquets.
A : Pourquoi ?
S : A la ferme, il y aura toujours à manger pour toit et ton enfant…
A : Tu sais bien que mon père me tuerait…
S : Mais non, il ne te tuerait pas. Il a toujours été juste pour les autres, il sera juste pour sa fille…Ecoute, je t’ai dit qu’ils se portaient bien tous les deux : je t’ai menti. Mais il faut pas m’en vouloir, c’était un mensonge de finesse…La vérité, c’est qu’ils sont bien tristes, bien tristes tous les deux…Depuis que tu es partie, notre maître ne fume plus…
A : Qu’est-ce qu’il fait ?
S : Il ne fait rien. Il ne parle plus. Il est même devenu méchant…Toute la journée, il dit des Couquin de Bon Diou…Oui…Et la pauvre maman Philomène, tout à l’heure, on ne la voit plus tellement elle est devenue petite : elle semble une bouscarle, et maintenant ses cheveux sont tout blancs…Même la pendule qui s’est arrêtée…Ecoute, Angèle, reviens et le maître la remontera…Dépêchons-nous, le train est à cinq heures. »

DIALOGUÉ

Entre Pagnol et Farnandel, ce ne furent qu’éclaircies entrecoupées d’orages, jamais le beau fixe. Ce fut même un jour le mauvais fixe : les deux hommes cessèrent de se voir pendant vingt ans.
Mais ils avaient réalisé ensemble Angèle, Regain, le Schpountz, la fille du puisatier, Topaze.
Ce sont des choses qui lient.
Quand tout allait bien, Pagnol affirmait avec force :
« Fernand est le plus grand comédien de l’époque. Je te le dis, je te l’écris et je te le signe sur papier timbré. Souviens-toi, Angèle, la scène où il va retrouver Angèle dans sa chambre du bordel. Il y est extraordinaire. Cette façon qu’il a de regarder dans son chapeau. Cette pudeur ! Cette délicatesse ! Extraordinaire, je te dis. D’ailleurs, je le sais. C’est pour ça que je lui avais écrit, exprès pour lui, le rôle de Saturnin ! »
Quand tout allait mal, Pagnol prétendait avec force :
« Tiens, la scène où il va trouver Angèle dans le bordel de Marseille, tout le monde a crié au sublime ! Surtout cette façon qu’il a de regarder dans son chapeau ! Cette pudeur ! Cette délicatesse ! Tu le sais pourquoi il regardait dans son chapeau, Monsieur Fernandel ? Parce qu’il n’avait pas été foutu d’apprendre son texte. On a été obligé de le lui écrire sur un papier qu’on a collé à l’intérieur du chapeau. Et il le lisait. C’est pour ça ! C’est ça, son génie ! »
Et aux amis bien intentionnés qui lui rapportaient ces paroles, Fernandel répondait :
« D’abord, c’est pas vrai. Pagnol est un menteur. Un menteur de charme, mais un menteur. Et ensuite, s’il ne me l’avait pas donné au dernier moment, mon texte, peut-être que j’aurais eu le temps de l’apprendre. Et il me fait bien rire quand il dit qu’il a écrit Saturnin pour moi. Il me l’a donné, ce rôle, parce que Michel Simon, à qui il l’a proposé en premier lieu, a demandé trop cher. »
La brouille de vingt ans couvait déjà lorsque Pagnol avait réécrit pour Bourvil une version du Rosier de Madame Husson, rôle qui avait consacré Fernandel.
Le refus de Fernandel de tourner Manon des Sources dans lequel le rôle d’Ugolin avait été prévu pour lui ; le succès éclatant de Rellys dans le même personnage ; l’intervention de Fernandel pour imposer Verneuil plutôt que Pagnol pour la mise en scène de Carnaval, scénario et dialogues de Marcel Pagnol…Ce sont des coups d’aiguilles qui n’entretiennent pas l’amitié.
Pagnol avait avalé la pilule mais il ne l’avait pas digérée. L’affrontement était inévitable.
Il se déclencha avec la brutalité d’un orage d’été.
Devant tous les comédiens, tous les techniciens, tous les machinistes, Pagnol se mit soudain à insulter Fernandel :
« Tu n’es, tu n’as jamais été qu’un paillasse, qu’un grimacier, qu’un pitre, etc. »
Fernandel blêmit, resta sans répondre. Effondré, il annonça autour de lui : « J’arrête le film. »
Ce fit la consternation générale. Dans le studio, on essayait de minimiser l’incident :
« Pagnol avait fait un trop bon déjeuner, et surtout un déjeuner bien arrosé. C’est ce qui l’avait fait « déparler ». Il ne pensait pas ce qu’il avait dit. D’ailleurs, il le regrettait déjà… »
Après deux heures de siège, Fernandel se rendit :
« Bon, d’accord. On finit le film en vitesse. Et on n’en parle plus ! »
On commençait à respirer.
C’est à cette minute que la secrétaire de Marcel Pagnol apparaît sur le plateau, une lettre à la main. « Pour Monsieur Fernandel », annonce-t-elle.
Fernand ouvre l’enveloppe, regarde la lettre, devient pâle.
C’était une lettre de Pagnol qui commençait ainsi :
« Cher Fernand,
Je tiens à te confirmer par écrit ce que je t’ai dit tout à l’heure. Tu n’es, tu n’as jamais été qu’un paillasse, qu’un pitre, qu’un grimacier… »
« Carnaval » fut un échec.
Pagnol et Fernandel ne se rencontrèrent plus sinon une fois en 1968 pour le quarantième anniversaire de Topaze et quelques jours avant la mort de Fernand quand celui-ci fit dire à Pagnol qu’il serait content de le revoir.
Pagnol, Raimu, Fernandel, le brelan magique : des relations passionnelles plutôt qu’un amour et, auprès du public un impact formidable, immédiat et durable !
La vérité, c’est qu’il s’était passé le même phénomène pour Fernandel dans Angèle que pour Raimu dans Marius.

MARCEL PAGNOL

Si tu résumes l’histoire d’Angèle en vingt lignes, le personnage de Saturnin, le valet de ferme un peu demeuré, tu peux très bien t’en passer. Et si tu fais la même chose avec Marius, tu peux parfaitement oublier César. Et pourtant, à partir de personnages je ne dis pas inutiles, mais pas nécessaires, Jules et Fernand ont fait de grands premiers rôles. Voilà une chose qui devrait faire réfléchir les comédiens, surtout les comiques. Quand tu es comique, tu n’as pas tellement intérêt à mener l’action. Il vaut mieux pour toi rester un peu à distance. C’est plus commode pour faire rire. C’est comme ça dans une classe de lycée. C’est le professeur qui fait avancer la leçon mais c’est le cancre qui s’en fout complètement qui nous fait rire.

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