LEO REYRE
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 LES BOURGEOIS DECALES (suite1)

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Leo REYRE
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Leo REYRE


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LES BOURGEOIS DECALES (suite1) Empty
MessageSujet: LES BOURGEOIS DECALES (suite1)   LES BOURGEOIS DECALES (suite1) I_icon_minitimeLun 22 Mar - 13:26

Scène 3
(Germaine, Jean-Baptiste, Pierre, Miquelon, Armande, Charles, Gaston, Paulus)

(Effectivement, on frappe à la porte. Les hommes s’agenouillent, tête baissée en signe d’humilité. GERMAINE et ARMANDE reviennent dans le salon.)
GERMAINE
Ils ont l’âge d’être hommes et ce sont des enfants.
ARMANDE
Comme pour des bambins, il faut être indulgent.
Je les trouve amusants. Justement, chez les hommes,
J’aime leur faculté de savoir rester mômes.
(On insiste)
GERMAINE
Entrez ! Ce n’est ici le lieu et pas plus le moment,
Mais entrez donc, vingt dieux ! Ça peut être marrant.
(Elle ne croit pas si bien dire. Ce sont les deux homos. Ils sont habillés style XVIIe siècle avec perruques et tous les attributs des courtisans . Deux folles !)
GASTON
Ô mes saintes chéries ! Vous ne pouvez savoir
Combien il est fâcheux d’arriver en retard !
Imaginez que là, j’avais mis une mouche
Et que j’ai dû y faire aux moins douze retouches.
Ça faisait tache d’huile avec mon fond de teint.
J’avais du mascara. Voyez : il a déteint.
J’étais en eau, fiévreux, et tout mon maquillage
Sur moi dégoulina comme un coloriage.
J’étais au bord des larmes et j’ai dû appeler
Mon psy qui par des mots très très doux m’a calmé.
C’est un homme adorable et je vous le conseille
Mais n’allez point chez lui car il pue des aisselles.
Un petit coup de portable, c’est très très très sympa
Et, bien évidemment, cet objet ne sent pas.
Sans compter tout l’argent que l’on économise.
PAULUS
Ce n’est pas cet argent qu’aux jeux les conauds misent.
E-co-nauds-mi-sent. Toc! Ça fait m’en fait cinq d’un coup.
GASTON
Oh ! Vois ! Tu es ignoble ! Je suis à bout, à bout !
Je n’avais point encor recouvré mes esprits.
Et vlan ! Tu me le mets en sévice compris.
PAULUS
C’est toujours pour sortir de ses vices qu’on prie.
Ses-vi-ces-qu’on-prie. Cinq de plus. C’est Byzance !
GASTON
Mon Dieu! Préservez-moi de son outrecuidance.
Je ne parlerai plus et je prends ce miroir
Pour témoin de ma rage et de mon désespoir.
Mon Dieu ! J’ai sur le nez un horrible poil noir !
Comment ai-je bien pu m’épiler sans le voir ?
Oh grand dieu qu’il est gros ! On dirait une corne !
Et je ne l’ai point vu. Mon dieu ! Une licorne !
(Il regarde son compagnon dans le miroir)
Comment peut – il sortir en pareille tenue ?
C’est le portrait d’un sot ! Et d’un sot suraigu !
Il ne voit même pas que ses bas font des plis.
Son pourpoint est mité. Savez-vous ce qu’il dit ?
Que c’est de la dentelle. L’avez-vous vu marcher?
Il marche comme ça (il mime), mais oui, et tout fanfreluché.
Quand je suis avec lui, j’ai toujours peur qu’on jase.
Surtout qu’il parle fort. Toujours avec emphase.
Je ne supporte pas qu’on me montre du doigt
Moi qui suis très discret, réservé et courtois.
C’est vrai : regardez-moi. Quand on a la prestance,
La moindre des saillies frôle l’inconvenance.
Le respect qu’on inspire est dans la retenue.
Regardez-le. Mon Dieu ! Quelle insane tenue !
Cependant, j’aime bien qu’on me voie avec lui.
Plus il a des mots laids, plus les miens sont jolis.
J’aime faire mousser sur lui la savonnette
Et lui laisser clamer ses stupides sornettes.
On rit souvent de lui et je vois bien les gens
Qui, par comparaison, me voient intelligent.
Ce n’est pas un plaisir, c’est une jouissance
De le faire gonfler dans son inconséquence.

GERMAINE
Maintenant qu’ils sont là, donne-leur une coupe.
Qu’ils la boivent d’un trait.
GASTON
Non, j’ai des vents en poupe.
Si je la bois d’un trait, j’aurai aussi des rots.
PAULUS
Moi aussi. J’ai des gaz et des rots sidéraux.
Si-dé-raux. Et de trois. Je suis dans un bon jour.
Pour les rimes s’entend. Pour le reste…
GASTON
Bonjour !
Moi je n’en ai que deux… oui mais depuis toujours.
PAULUS
Quel humour déplacé ! Les oreilles des dames
Ont dû être choquées.
GERMAINE
Oh ! Ce n’est pas un drame.
C’est même rassurant, le voyant, de savoir
Qu’il y a des grelots dans le fond du tiroir.
JEAN-BAPTISTE
Passez sur le balcon où, profitant du vent,
Vous pourrez à loisir débonder vos évents.
Notre ami ébauchait une histoire plaisante
Lorsque vous arrivâtes et, à l’heure présente,
Je brûle du désir d’en connaître la fin.
GERMAINE
Ah ! C’est bien le moment. J’ai une de ces faims !
JEAN-BAPTISTE
Pierre a bientôt fini ; ce ne sera pas long.
Il convient d’aérer un instant le salon
Où flotte les parfums outrageants des très chers
Qui ont, reconnais-le, un allure d’enfer.
PIERRE
Où en étais-je donc ?
MIQUELON
Aux gardes et au pauvre hère.
JEAN-BAPTISTE
Et moi, je te disais : Mais où est donc Molière ?
PIERRE
Les gardes ont rencontré notre homme ce matin,
Affalé sur un banc à deux pas du parking
Où ils vérifiaient l’heure des horomètres.
MIQUELON
C’est un art dans lequel ils se sont rendus maîtres.
Permettez qu’à l’instant j’ouvre une parenthèse
Pour vous dire tout haut ce que les autres taisent.
Sur les parkings surtout les gardes vont par deux.
Or, en les observant, j’ai déjoué leur jeu.
Mettons qu’à votre auto, il reste cinq minutes
Sur cette place à l’ombre gagnée de haute lutte.
Trop tard. Sur le papier le P.V. est écrit
Avec vos numéros…et en calligraphie.
Ils attendent le top et votre pare brise
Aura son papillon. Quelle douce surprise !
Or, vous vous présentez avec un peu d’avance
Car vous avez, du temps, vous aussi, l’expérience.
Lorsque vous arrivez, c’est aussi dans leur jeu
Que vous mettez les pieds. D’abord un puis les deux.
L’un se fait amical, vous tape sur l’épaule,
Parle du temps qu’il fait, des enfants, de l’école,
Il plaisante avec vous en garde bon enfant
Jusqu’au top qui vous coule et qui le cœur vous fend.
Car l’autre n’ayant d’yeux que pour son chronomètre
Vous joue le coup de gong où il s’est rendu maître.
« Il vous fallait prévoir, quand vous êtes parti,
Le temps qu’il vous faudrait pour revenir ici.
Je n’y peux rien, hélas, car j’applique la loi.
Dura lex mais sed lex et c’est à votre endroit
Qu’aujourd’hui par malheur la dure loi s’applique.
Que serait, sans la loi, la vie en république ? »
Puis les hommes armés aux sombres uniformes
Poursuivent leur chemin sous votre regard morne.
JEAN-BAPTISTE
Si vous fermiez ici.
MIQUELON
Quoi donc ?
JEAN-BAPTISTE
La parenthèse.
Je sens que vous mettez Charles très mal à l’aise.
Il est, à la mairie, responsable de l’ordre
Et ce sont ses bras droits que vous venez de mordre.
MIQUELON
Je la ferme illico bien que n’ayant compris
Que je dusse fermer la bouche en ce lieu-ci.
Dans un cercle d’amis, toutes les vérités
Peuvent être évoquées.
JEAN-BAPTISTE
Mais il faut éviter
De froisser ceux qu’on aime afin de préserver
Ce que l’on a construit et de le conserver.
L’amitié constitue la seconde famille.
Mais un mot de travers, un seul mot, la fendille.
C’est la paille qui nuit au plus beau des diamants,
Le grain de sable à l’œil, le doute pour l’amant.
MIQUELON
J’en conviens. La chose est dite et je n’en parle plus.
JEAN-BAPTISTE
Allez , Pierre, poursuis. Germaine n’en peut plus.
PIERRE
Quand les gardes ont vu le malheureux touriste
(C’est là que j’en étais), l’un a dit, pessimiste :
« Je crois bien qu’il est mort, il faut voir de plus près
Et s’il en est ainsi appeler les pompiers. »
Ils l’ont pris aux épaules et l’ont tant secoué
Que, s’il avait compris, Le pauvre eût avoué
Toutes les forfaitures à venir et passées.
Mais il n’a rien saisi, ignorant le Français.
C’est là que la notion de miracle s’impose.
Tout ce qui est écrit, dans les lois, est en prose.
Et les Codes , civil aussi bien que pénal,
N’ont rien qui fait penser au moindre madrigal.
C’est alors que l’un d’eux, sans doute le gradé,
De se remettre aux vers eut brusquement l’idée.
JEAN-BAPTISTE
Forcément le gradé car lui seul est poète.
PIERRE
Et il chante fort bien.
JEAN-BAPTISTE
Oui. Il kara okète.
PIERRE
Quand les gardes, tous deux, se sont remis aux vers,
On aurait dit la pluie tombant dans le désert.
Comme le sable chaud, il buvait leurs paroles
Et même, par moment, il les trouvait très drôles.
JEAN-BAPTISTE
Etes-vous sûr, ami, qu’il les avaient comprises ?
Il y a si peu de mots qui, en joie, se traduisent
Lorsqu’un homme à képi s’adresse à un quidam.
PIERRE
Il souriait.
JEAN-BAPTISTE
Beaucoup ?
PIERRE
Bof ! Il montrait les dents.
L’homme s’était assis comme pour un spectacle
Et son regard suivait. Croyez-moi : un miracle !
Selon les hémistiches et selon le phrasé,
Spectateur attentif, notre homme applaudissait.
MIQUELON
Je vous crois à-demi. Un garde peut-il plaire ?
PIERRE
Oui : en parlant en vers comme au temps de Molière !
MIQUELON
Allons donc, cher ami, vous vous moquez de nous.
Des gardes ! et en vers !
JEAN-BAPTISTE
C’est drôle, je l’avoue.
C’est sans doute pour ça que l’homme souriait :
Les rimes étaient plates et les vers imparfaits.
MIQUELON
Lors du feu d’artifice, ils étaient bien placés
Et ont dû recevoir Molière de plein fouet.
JEAN-BAPTISTE
Ils ont reçu le flash de trop près forcément.
Etant surexposés, ils ont surtout du blanc.
PIERRE
Ce que je vous ai dit est réel, authentique.
Les gardes ont prouvé là leur penchant poétique.
En plusieurs occasions Charles a dû constater
Qu’ils ont ce penchant-là.
CHARLES
Surtout chez les gradés.
JEAN-BAPTISTE
Ah ! Que j’aurais aimé être là pour entendre !
PIERRE
Moi, j’ai tout entendu.
JEAN-BAPTISTE
Sérieux ?
PIERRE
C’est à se fendre.
Je ne sais s’ils avaient bave ou sourire aux lèvres
Mais pour la poésie, ils parlaient en orfèvres :
« Qu’on ne te revoie plus résider en ce lieu.
Fous le camp, salopard, poubelle, vieux crasseux.
Fais gaffe, peigne-cul : tu vois cette matraque.
Si tu as des épis, d’un coup elle les plaque,
Et si, pour ton malheur, péquenot, je m’en sers,
Tu auras forcément une idée de l’enfer. »
JEAN-BAPTISTE
Ouf ! L’acabit de ces vers en tous points me rassure.
C’est viril et martial. Très bon, je vous l’assure.
Ils évoquent un peu Du Bellay et Ronsard
Qui auraient confondu lard à couenne avec l’art.
PIERRE
Est-ce par la douceur de ces alexandrins ?
Ma foi, notre homme a fui sans attendre la fin.
Il a trouvé l’issue d’un coup, sans hésiter
Et pris, les jambes au cou, la route qu’il cherchait.
On peut se demander si, sans le grand Molière,
Il n’aurait dans nos rues pour longtemps fait carrière.
GASTON
Une question me vient.
PIERRE
Vous fait-elle souci ?
GASTON
Non. Elle a traversé sans douleur mon esprit.
PIERRE
Il est vrai que, chez vous, l’esprit est peu sensible.
Il erre comme un dard décoché et sans cible.
GASTON
Je n’admets pas, Monsieur ! Vous qui en avez trop,
Sachez le contenir et tenez-le au trot.
On ne sait si la route où la langue galope
Mène aux portes du ciel ou à un trou de taupe.
Il y a trop de danger pour qui laisse l’esprit
Décider du chemin. S’il s’égare il est cuit.
PIERRE
L’esprit est naturel et je hais qu’on le force.
Si la mèche est mouillée, point de feu à l’amorce.
Et l’on voit tant de gens faire des mots d’esprit
Que l’avoir naturel, mon Dieu, n’a pas de prix.
Mais pardon, cher ami, si j’ai fait naître un doute
A propos de l’esprit. Si j’ai, je le redoute,
Touché de votre esprit une corde sensible,
C’était par pur hasard. Je croyais impossible
D’atteindre telle corde… Il y en a si peu.
Disons qu’en ce moment j’ai de la chance au jeu.
La question qui vous vint, l’avez-vous retenue ?
Ou est-elle perdue quelque part dans les nues ?
GASTON
La question n’est pas là.
PIERRE
La pauvre ! Elle est partie ?
GASTON
Je vous ferais procès si nous n’étions amis.
PIERRE
Vous ai-je donc blessé ?
GASTON
La flèche était cruelle.
PIERRE
J’en demande pardon à genoux. Bagatelle !
GASTON
Montrer trop son esprit, Monsieur, est-ce en avoir ?
PIERRE
Le montrer quand on l’a est une forme d’art.
Mais quand on n’en a pas, c’est comme un constipé
Qui force sur son ventre et n’en tire qu’un pet.
Bref, dans certains duels à forces inégales,
La retraite honorable est souvent idéale.
GASTON
Vous pensez donc, Monsieur, que je dois reculer.
PIERRE
(il a remarqué Paulus derrière Gaston)
C’est le meilleur moyen de vous faire en…paler…
(il s’adresse aux spectateurs)
Ah ! Les plaisants rieurs qui apprécient la scène
N’ont-ils , d’un mot d’esprit, qu’une opinion obscène ?
(à Gaston)
C’est moi, mon cher ami, qui sonne la retraite.
Je vous suis débiteur mais ce n’est point par traites
Que l’on peut s’acquitter d’une dette d’esprit.
Je vous rembourserai, mais vous, faites le prix.
GASTON
Considérons céans que votre dette est close
Venez donc dans mes bras.
PIERRE
J’ai une dermatose.
Que notre embrassement ne soit que virtuel.
GASTON
Que ce soit un contrat loyal et solennel :
Mettons mon cher ami nos deux QI ensemble.
PIERRE
Mais alors seulement comme deux sous-ensembles.
Il en va des esprits comme crus de renom :
Nul ne gagne en prestige au mariage des noms.
On ne mêle jamais les sangs incompatibles
Ce qui différencie doit rester perceptible.
Le Divin Créateur en son laboratoire
Ne nous a pas classé au même répertoire.
Il a fait différents nos corps et nos esprits
Vous avez plus que moi du corps. Moi, plus d’esprit.
Si j’en ai plus que vous, à quoi bon m’en vouloir :
C’est un don naturel qui ne vient sur le tard.
On possède l’esprit déjà dans le berceau
Et, pour prendre le sein on est malin ou sot.
Plus tard, faisant des mots, de plaisants calembours,
Ils sont vifs, spontanés et non cuits dans un four.
Il y a dans le cerveau de savants engrenages
Qui fournissent aux uns de subtiles images.
Aux autres, c’est mystère, ils ne fournissent rien
Sinon quelques ébauches aux contours incertains.
Nous sommes ainsi faits. Matières identiques
Et différents sur tout. Chaque homme est atypique.
Un coq peut plaire aux poules, un autre les fâcher
Même si ce dernier est son portrait craché.
Ne cherchons pas à faire un monde égalitaire
Ce n’est que de reliefs qu’est faite notre terre.
On y voit des sommets et presque autant de creux .
Et le corps féminin ?
GASTON
Grand Dieu que c’est affreux !
PIERRE
Des courbes arrondies, ondulantes, légères ;
Et des vallons ombreux qui gardent leurs mystères.
GASTON
Ah, l’horreur ! Taisez-vous. Tous mes poils se hérissent.
PIERRE
La beauté serait-elle à vos yeux un supplice ?
JEAN-BAPTISTE
Allons, mes chers amis ! passons à la question
Et laissons donc l’esprit enclos dans son bastion.
PIERRE
Les griefs dans la poche et le mouchoir dessus,
C’est là mon opinion.
GASTON
Vous auriez donc reçu
Un don que je n’ai point quand vous vîntes sur terre.
PIERRE
Vous avez tout compris.
GASTON
Et moi, je suis austère.
PIERRE
Mais votre austérité est elle aussi un don
Qu’il vous faut cultiver comme un gros potiron.
GASTON
Ce n’est point, cher monsieur, un don qui fait brillance.
PIERRE
L’ombre donne aux objets plus d’éclat qu’on ne pense.
Mais moi, si j’étais vous, j’aurais des habits sombres
Plutôt que ces atours et ces clinquants en nombre
Qui ne donnent de vous que l’image d’un paon
Dont la réputation d’inverti se répand.
En étant naturel vous seriez le contraire
Car votre naturel, le vrai, est d’être austère.
GASTON
Et je laisserais choir mon Paulus dans ses larmes !
Lui en qui j’ai trouvé de l’amour tous les charmes !
Ce qu’on remarque en fait, c’est surtout le soleil.
PIERRE
Mais l’ombre est un abri souvent providentiel.
GASTON
Moi, j’aime le soleil et les objets qui brillent.
Et mes meilleurs moments, c’est quand je me maquille,
Lorsque, après l’avoir fait, de voyant je me vêts.
Je ne sors qu’au verdict que me rend ma psyché.
J’adore les couleurs et, si j’étais en noir…
Ô mon chou ! d’y penser j’ai déjà le cafard.
Tu me vois en corbeau, Paulus, ou en soutane ?
Ou gris comme un ânon ? Une poule faisane ?
PIERRE
Votre comportement , ainsi que votre esprit
Ne sont bien que forcés. Je crois que j’ai compris.
JEAN-BAPTISTE
Allez, mon cher ami. Vous êtes un esthète.
Et la question, au fait, qui vous passa en tête ?
GASTON
Elle est partie de moi
JEAN-BAPTISTE
Attendons son retour.
GASTON
Elle était singulière.
JEAN-BAPTISTE
Elle est au carrefour.
GASTON
Elle avait pour objet…
JEAN-BAPTISTE
Je la vois qui revient.
GASTON
Elle est là sur ma langue
JEAN-BAPTISTE
Elle n’est plus très loin ?
GASTON
Ça y est !
JEAN-BAPTISTE
Ah ! Quel bonheur !
GASTON
Cette fois, je la tiens.
JEAN-BAPTISTE
J’en suis heureux pour vous. Surtout tenez –la bien.
GERMAINE
Est-ce que par hasard quelqu’un de vous à l’heure ?
L’idée d’aller manger rarement vous effleure.
Mais moi, je vais crever si je ne mange pas.
JEAN-BAPTISTE
Ce que tu as crevé, pour l’instant, c’est ton bas.
GERMAINE
Ah ! non ! Juste celui que je viens de changer
Il doit y avoir un clou dans la salle à manger.
JEAN-BAPTISTE
Ou bien en le changeant tu as remis le même.
Nous allons être prêts sous peu. Pas de problème.
GASTON
Ouf ! J’allais l’oublier. Et pourtant je la tiens.
JEAN-BAPTISTE
Alors continuons ce plaisant entretien.
GASTON
On joui de plaisir quand on sent que ça vient.
JEAN-BAPTISTE
J’en suis heureux pour vous car les trous de mémoire
Noient toutes les idées.
GASTON
Toutes ?
JEAN-BAPTISTE
Non. Pas les noires.
GASTON
Voici donc ma question dont j’ai défait les liens.
PIERRE
En français, s’il vous plait. Surtout pas en latin.
GASTON
Et pourquoi ?
PIERRE
Parce que.
GASTON
Eh bien, moi je l’adore.
J’aimerais qu’entre nous on le parlât encore.
PIERRE
Depuis que le latin n’est plus langue de messe,
Le moindre mot en us, c’est bien simple, m’agresse.
Je ne supporte pas qu’un pape m’ait trahi,
Moi, qui participais aux offices, ébahi.
Le latin conférait à l’Eglise un mystère,
Une solennité que n’ont plus les prières.
Je me laissais bercer par cette liturgie
Et de mots inconnus je faisais des orgies.
Je vous le dis tout net bravant la polémique :
Les prêtres d’aujourd’hui n’ont pas l’air catholique.
Surtout pas en latin, mon ami, s’il vous plait.
GASTON
Cette langue n’est pas celle où je me complais.
Le latin que je sais se résume en deux mots :
Recto pour le devant et verso pour le dos.
Voici donc ma question :
JEAN-BAPTISTE
Chut, vous autres, motus.
GASTON
Est-ce que les étrangers contractent le virus ?
PIERRE
Je comprends que le choix d’une telle question
Ait forcé votre esprit à bien des contorsions.
Sa conception a dû vous prendre bien du temps.
Il veut savoir, mon cher, s’ils sont très performants
En matière de vers et si pour la métrique,
Ils comptent aussi en pieds… comme les Britanniques.
Virus ou pas virus ? That is the big question.
De quoi mettre un esprit sensé en combustion.
Est-ce que l’alexandrin a touché les Moraves ?
JEAN-BAPTISTE
Il faut différencier les Latins et les Slaves.
Les Latins sont des gens qui s’expriment beaucoup
Et qui, en gens curieux, mettent leur nez partout.
Ils sont donc forcément au virus plus sensibles
Que les Slaves qui, eux, ne sont guère miscibles
Et ne parlent qu’entre eux.
GASTON
Il y a les Saxons
JEAN-BAPTISTE
Et aussi les Anglais mais on sait comme ils sont.
Des barbares parfois. Parfois des faux jetons.
S’ils ont notre virus, ils ne montrent qu’ils l’ont.
Le fair play est un mot dont ils ont le brevet
Mais en user, My God ! Oh no! Plutôt crever.
Ils sont très personnels, ne font que ce qu’ils veulent
Et leur flegme narquois n’est qu’un amuse-gueule.
PIERRE
C’est vrai qu’ils ont sur nous un regard supérieur
Hérité d’un passé hostile et guerroyeur.
Voyez sur les terrains : ne pouvant plus nous battre,
Ils volent nos joueurs, les rendent dans le plâtre.
Mais oui ! Traîtreusement, ils veulent affaiblir
Nos élites du sport.
JEAN-BAPTISTE
Mais sans y parvenir.
GASTON
Et pour les maghrébins ?
JEAN-BAPTISTE
Je ne sais pas s’ils l’ont.
Ne prenant de chez nous que ce qu’il y a de bon,
On pourrait affirmer qu’ils nous ont pris Molière
Mais je reste prudent. Quel est ton avis, Pierre ?
PIERRE
On a pris leur couscous.
JEAN-BAPTISTE
Seulement la recette.
PIERRE
On a pris leur méchoui.
JEAN-BAPTISTE
Un mouton ! Une bête !
PIERRE
On a pris leur algèbre et même leur zéro.
JEAN-BAPTISTE
C’était chez les anciens en temps immémoriaux.
Leurs jeunes vont en bandes et tels des hooligans
Pour dégrader nos rues ne prennent pas des gants.
S’ils ont pris le virus, ils ne l’avouent qu’en raï.
Quant à leurs graffitis sur les murs, les portails,
Bien que les ayant vus et photographiés,
Je ne puis affirmer qu’ils sont de douze pieds.
Je crois que le virus s’en prend aux autochtones,
A eux uniquement, mais alors il cartonne.
Je ne sais si ce mal se transmet et ne sais
S’il doit durer longtemps ou bien très tôt cesser.
Ce n’est pas, disons-le, une grande souffrance
Sauf pour ceux qui sont bègues et dont la véhémence
A se faire comprendre est poussée au summum
Par ces vers imposés, réglés au métronome.
J’en connais un qui sue dès qu’il ouvre la bouche
Car il doit, pour un son, tirer douze cartouches.
MIQUELON
Le plus heureux, je crois, c’est mon cousin Marcel
Qui, déjà dans la prose, avait un tic.
PIERRE
Lequel ?
MIQUELON
Il ajoutait un « con » tous les quatre ou cinq mots
Comme un clapet de pompe et non comme un gros mot.
Il ajoute à présent, un « con » à l’hémistiche
Et termine son vers par un ou deux. Fortiche !
Et, en plus pour la rime, il n’a aucun problème.
Mais les cas évoqués sont vraiment les extrêmes.
GERMAINE
Vos coupes sont vidées ? La mienne est plus que pleine
Et ne peut supporter plus longtemps vos rengaines.
Vous êtes les champions, messieurs, du compérage
Et vos vulgarités sont du plus bas étage.
Vous êtes tous restés de farfelus potaches
Et ne voyez en tout, bêtement, que les taches.
Je commence à penser que vous faites un complexe
En vous gaussant des gens, de l’Eglise, du sexe,
De ceux qui font les lois, de ceux qui les appliquent,
Des migrants saisonniers, des migrants endémiques,
Des homosexuels, pire encor, de vos femmes.
On dirait des serpents qui, entre eux, font des gammes.
Et pourtant, vous donnez constamment des leçons
Lorsque, de temps en temps, entre femmes causons.
Vous nous dites : Indulgence et largesse d’esprit
Dans la société sont des vertus sans prix.
Or, vous portez sur tout des critiques féroces
Dès que vous bavardez. Oui, même sur les grosses.
PIERRE
Jamais sur vos rondeurs je n’ai dit un seul mot.
MIQUELON
Et moi pareillement. Pourtant… non pas un mot.
CHARLES
Germaine, m’avez-vous très souvent entendu ?
GERMAINE
Vous, ce n’est pas pareil.
GASTON
Je n’ai rien dit non plus.
Et pourtant, comme vous, maman est très très grosse.
PAULUS
N’auriez-vous, Germinette, une petite brosse ?
J’ai, sur mes escarpins, quelques grains de poussière.
GASTON
Ça vous vient d’un cheveu qu’en duo deux poux scièrent.
Deux-poux- sci-èrent. Grand Dieu ! Et sans le moindre effort.
PAULUS
Tu ressembles au dindon ignorant de son sort.
GERMAINE.
Tenez, pour vous brosser prenez donc ce torchon.
ARMANDE.
Germaine, mon foulard !
GERMAINE
Il n’est pas folichon.
Mon ami, je crois bien qu’il y a une brosse
Dans un coin du balcon. Elle n’est pas très grosse.
(Gaston et Paulus se précipitent)
JEAN-BAPTISTE
(il répond à Germaine)
Dans les conversations que l’on a entre mâles
La profondeur des mots n’est jamais abyssale.
On sait pertinemment qu’en donnant un avis,
Ce n’est pas suffisant pour transformer la vie.
Et lorsque nous faisons telle ou telle critique,
C’est, nous le savons bien, avant tout symbolique.
C’est un petit plaisir cet instant de pouvoir
Où l’on se sent plus fort par notre seul vouloir.
Mais nous n’éreintons pas, comme le font les femmes,
Par de méchants propos, nos amis, non Madame !
Nous pouvons être rustres ou, à vos yeux, vulgaires
Mais nous ne déclenchons comme vous ces guéguerres
Qui, dans les amitiés, mettent des charançons.
Nous contrôlons toujours les dards que nous lançons.
GERMAINE
Mais vous pensez du mal d’eux qui sont nos amis
Seulement parce qu’ils sont…
JEAN-BAPTISTE
Ah ! Non, je vous en prie !
Ce ne sont pas les miens, Madame, mais les vôtres.
S’il ne tenait qu’à moi, vous en trouveriez d’autres.
Mais je suis indulgent et d’esprit assez large
Pour tolérer chez moi ces deux-là, mais en marge.
Un fait paradoxal pour ne pas dire énorme :
On paraît anormal lorsqu’on vit dans les normes.
Fi des chemins trop droits ! Il nous faut divaguer.
Et l’on vit tristement si l’on ne vit pas gay.
Regardez. Que voit-on dans les médias, partout ?
Les vices exposés et les vertus tabou.
On applaudit les putes et l’on rit des rosières.
Avouez que l’époque est plutôt singulière.
Nos épouses n’ont d’yeux que pour ces invertis
Qu’elles trouvent courtois, attentionnés, gentils.
GERMAINE
Si tu closais ici tes paroles débiles ?
Je ne sais si tu sais mais nous dînons en ville.
A cette heure déjà les restaurants sont pleins.
JEAN-BAPTISTE
N’es-tu qu’un estomac ? Germaine, je te plains.
GERMAINE
Depuis déjà longtemps mon ventre crie famine.
Maintenant, écoutez : il enrage, il fulmine.
Continuez ainsi si vous le désirez,
Mais qui m’aime me suive ! Je vais me restaurer.
(Elle part la première suivie de Charles. Armande fait signe aux hommes d’obtempérer. Ils se décident. Jean-Baptiste s’apprête à fermer la porte quand Gaston et Paulus surgissent du balcon, effarés)
GASTON
Ô Mon Dieu ! Ô Mon Dieu ! Ô amis oublieux !
PAULUS
C’était juste au moment où j’allais faire un vœu,
Ayant vu dans le ciel une étoile filante.
GASTON
Attendez ! Je vous prie !
PAULUS
Ô la chose frustrante !
Lorsque l’on coupe un vœu, c’est cent ans de malheur.
GASTON
Excusez-moi, Jean-Bi, nous n’avions pas vu l’heure.
PAULUS
Te rends-tu compte, Chou, qu’ils m’ont coupé un vœu ?
J’allais penser à toi. Et Crac ! Coupé en deux.
JEAN-BAPTISTE
Allez ! Allez ! Filez ! (ils partent) Je vais laisser ouvert.
Pour des miasmes pareils il faut du courant d’air !
(Il va ouvrir la porte fenêtre du balcon que les deux folles avaient fermée. Pendant qu’il a le dos tourné, Armande réapparaît)
ARMANDE
Je me suis aperçue, en arrivant en bas,
Que j’avais oublié mon foulard.
JEAN-BAPTISTE
Il est là.
(Il le ramasse et le tend à Armande, mais il retient la main de celle-ci et cherche à l’embrasser. Elle se dégage et s’enfuit en riant. Il la suit).


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LES BOURGEOIS DECALES (suite1)
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