Leo REYRE Admin
Messages : 62 Date d'inscription : 20/01/2010 Age : 84 Localisation : VALREAS
| Sujet: LES BOURGEOIS DECALES Mar 26 Jan - 13:30 | |
| LES BOURGEOIS DECALES Comédie en alexandrins …ou presque Les personnages : JEAN-BAPTISTE Poquelin GERMAINE Lebal épouse Poquelin CHARLES Magnet ARMANDE Béjart épouse Magnet PIERRE, un ami MIQUELON, un ami GASTON, un ami PAULUS, un ami
ACTE I Scène 1 (Germaine, Jean-Baptiste)
Nous sommes dans un salon décoré de méchants tableaux et de clinquants. Il communique par une porte avec une chambre ou une salle de bain. Une deuxième porte est celle d’entrée. Une femme « bien en chair » pour ne pas dire dodue va et vient en petite tenue. Elle a l’air particulièrement agacée par son image que lui renvoie à chacun de ses passages un grand miroir. C’est GERMAINE, épouse de JEAN-BAPTISTE.GERMAINE On m’a parlé hier d’un nouveau coupe-faim Qui fait fondre la graisse et rend le corps plus fin. L’urgence est absolue que je me le procure Sinon il va falloir que je fasse une cure. Je sais qu’en la faisant je serai remboursée Mais la perte de poids ne m’est pas assurée. D’autant plus qu’en ces lieux réputés pour leurs eaux, Il y a salons de thé, restaurants, casinos. Regardez-moi ce lard ! Je suis un gros boudin Et d’un seul verre d’eau je remplis tout mon bain. Et encore… Attention à la dernière goutte ! La baignoire déborde. Oui, je l’occupe toute. Dieu pourtant m’est témoin que je fais des efforts Et que je m’intéresse aux contours de mon corps. Du régime au yaourt au régime à la pomme, Je les ai tous testés. Rien n’a gommé mes formes. C’est la faute à mon nez. Je flaire et les fumets Activent tous mes sucs… et Dieu sait si j’en ai. C’est la faute à mes yeux. Je vois et ma vision Neutralise illico mes résolutions. Le matin, c’est fatal, lorsque le jour se lève, Je dis, palpant mes flancs : « Serait-ce un mauvais rêve ? » Et je prends aussitôt des mesures musclées Pour, dans un près futur, perdre mes bourrelets. Mais hélas ! Tout s’estompe en trempant mes boudoirs Dans mon café au lait et, lorsque vient le soir, Après deux bons repas de viandes et de sauces Je me présente à lui (le miroir) qui me dit : « Que t’es grosse ! » Il a raison, hélas ! L’inquiétant, c’est ma robe Quand je rentre devant, le gras, lui, se dérobe. Il vient sur les côtés puis s’enfuit à l’arrière A tel point qu’en marchant je sens quelqu’un derrière. Si la mauvaise foi pouvait faire mincir, Je vous dirais qu’à l’eau elle a dû rétrécir. Mais la mauvaise foi ne gomme aucun kilo Ni sur le gras devant, ni sur le gras du dos. Le solution est là : ce nouveau coupe-faim. C’est trop tard pour ce soir. Je m’y mettrai demain. Ah ! Demain ! Quel bon jour pour lancer un régime ! C’est, dans mes relations, l’opinion unanime. On a toute une nuit pour bien s’y préparer Et, quand on ouvre l’œil, on peut y adhérer. Regardez-moi ce lard. Je dois être maudite. Du grand dieu Adipos, je suis la favorite. Pourtant, je ne suis pas du tout genre limace. Je cours, je me démène et ne tiens point en place. Je brûle sans arrêt mes hautes calories Et pourtant, me voyant, je vois une otarie. Du matin jusqu’au soir, je fonds dans ma cuisine. Je mitonne des plats et les quelques pralines Que je mets sous mes dents pour juguler ma faim, Est-ce que ça fait du poids ? De si petits machins ! Les sauces ? Oui, bien sûr… Je les goûte souvent. Mais par obligation ! Ratées, qu’est-ce que j’entends ! D’où me vient cette graisse ? Et ce lard sur le ventre ? Il faut pourtant ce soir que là-dedans je rentre. (à partir de cet instant, elle commence à s’habiller) Mon mari dit souvent que mon coup de fourchette En parade à Pinder pourrait faire recette. Il a, pour mes kilos, toujours des mots méchants. « Tu en perdrais un peu, me dit-il, en séchant. » Ou : « On va vers un hiver sans doute des plus froids Car tu as fait très tôt tes réserves de gras. » « Tu devrais déclencher, chérie, le plan ORSEC Afin d’évacuer tout ce gras ». Pauvre mec! Il y a bien des maris qui soutiennent leur femme ! Le mien est un goujat. Ce qu’il dit est infâme. Peut-être a-t-il raison mais je ne peux l’admettre. Ah ! M’y voilà enfin. J’ai cru ne point la mettre. Pourquoi ne l’ai-je prise en tissu extensible ? Ou la taille au-dessus ? Oh ! Non, c’est impossible. La vendeuse aurait vu que j’ai un peu forci Et l’aurait publié sans aucun raccourci. D’ailleurs, depuis vingt-ans je prends la même taille. Seulement j’en prends deux que je couds et retaille. (à l’assistance) S’il y a parmi vous un prince, un galant homme, Qu’il vienne s’occuper un peu de ma personne. Vous voyez bien que seule, avec des bras normaux, Mon zip, point je ne puis le monter jusqu’en haut. (au volontaire) Vous avez, cher Monsieur, les mains prestes et douces. Attendez-moi après, nous partirons en douce. (après, lorsqu’il a repris sa place) Je suis comme un diamant qu’on aurait enchâssé. (un regard au miroir) Ouais…Une pâte au levain prise dans un corset. Ça me serre partout. Je crois que je boudine. En me voyant ainsi, je deviens misogyne. Déjà, étant enfant, j’avais grand appétit. Je léchais tous les plats, les grands et les petits. Ce penchant, paraît-il, faisait rire mon père Et, paraît-il aussi, rendait fière ma mère Qui montrait aux voisins mon corps tout potelet. « On croirait voir, tout rose, un gentil porcelet. » Le temps s’est écoulé et l’expérience instruit : Femelle, porcelet devient plus tard la truie. Par bonheur, sur un point, je me distingue d’elle. Vous pouvez les compter : je n’ai que deux mamelles. Ce qu’on distingue là, ce sont des bourrelets. Surtout ne riez pas : c’est extrêmement laid. Et mon mari, ce gland, il faut voir ce qu’il bouffe ! De tout et plusieurs fois et sans le moindre Ouf ! Il est comme Apollon, svelte, sec, fuselé. Entre un hareng et lui vous pourriez vous tromper. Qu’il soit comme à vingt ans, je ne supporte pas Ni que d’autres regards se tournent sur ses pas. Dès qu’il est au dehors, plus qu’un soleil il brille. Il faut voir le succès qu’il a auprès des filles ! S’il se montre en maillot, elles sont un essaim Prêtes à le lutiner de la pointe des seins. Elles sont sans pudeur et pas une ne cille. Et moi comme une idiote, je le brosse, l’étrille, Je cuisine des plats dont il se dit gourmand. Pas plus loin qu’aujourd’hui, et je meurs si je mens, Pour un plat de poissons, je préparais la rouille. Lui était à la plage et se dorait les JEAN-BAPTISTE (il sort de la chambre, en tenue pour se rendre à une réception) Grouille ! Comme toutes les fois nous serons brocardés Par nombre de railleurs. Ils nous voient attardés Avec tant de constance qu’ils vont imaginer De gaillardes raisons durant tout le dîner. Il te faut plus de temps pour enfiler ta robe, Que met notre soleil à parcourir le globe. Tu ferais mieux, vois-tu, de passer un tailleur. Tu en avais un bleu qui avait de l’ampleur. Au fait, en te voyant, je réfléchis soudain : Il me faut, c’est urgent, aller faire le plein. Le temps que tu t’habilles. Disons:un gros quart d’heure. GERMAINE Et Vlan ! Pourquoi un gros ? Petite demi-heure Eût été plus gentil. Mais c’est un vrai goujat Qui rappelle à l’envie ce que je sais déjà. Lui va prendre du jus à l’heure où les minettes N’ont, les dévergondées, que les mâles en tête. Ses yeux sont des témoins de petite vertu Près à déshabiller tous les fruits défendus. Son nez est frémissant dès qu’un parfum de femme Lui parvient dans la rue. Le vieux cerf est au brame. Comme les jeunes paons, c’est la roue qu’il veut faire Mais entre un paon et lui il y a plus qu’un mystère Il gonfle le poitrail, s’escrime, s’évertue La tête dit : « vas-y » mais la queue ne suit plus. (Elle commence à se déshabiller) J’aimerais le monsieur, pour que ses doigts m’effleurent En descendant le zip qu’il monta tout à l’heure. (Le monsieur revient. Elle le prend à témoin) Dites-moi franchement : Est-ce que je suis grosse ? N’est-ce pas ce miroir qui jette un œil féroce Sur mes contours charnus et qui, sans réfléchir, Me montre ce boudin comme pour me punir ? Venez auprès de moi. Regardons-nous ensemble. Pour voir s’il nous grossit. Et non…ça vous ressemble. J’ai eu l’espoir soudain qu’il était déformant Mais il est ordinaire et son reflet ne ment. Merci, mon cher monsieur, et allez vous rasseoir. Je mettrais mon tailleur, mon bleu, juste ce soir. Il ne me va pas bien. Je flotte à l’intérieur. Et m’imagine, en lui, atteinte de maigreur. (Elle passe son tailleur, met ses chaussures, une étole sur ses épaules, se regarde dans le miroir) J’imagine parfois que je suis une muse. Las! Je ne vois que ça : une jarre d’Anduze. Je te vendrai, miroir, car tu ne m’aimes plus. A compter de demain, calories, je vous tue. (Elle court à la salle de bain et rapporte le pèse-personne) Je vous prends à témoin. Vous pouvez tous venir. Non. Seulement le monsieur qui sait intervenir. L’aiguille va montrer mon poids en sa présence Et je suis résolue à ouïr sa sentence. (Elle monte sur le pèse-personne) Vous pouvez constater que mon poids est certain. Et, je dois l’avouer, c’est plus que ce matin Lorsque je me pesai…C’est vrai que j’étais nue. (Elle s’aperçoit qu’elle est habillée) Je m’en vais sur le champ me remettre en tenue Tout comme ce matin mais en votre présence Car nous devons avoir un poids de référence. (Elle se déshabille mais garde pour se repeser son étole, son tailleur sur le bras et ses souliers à la main) La balance répond : « Germaine, tu exagères : ça fait encore cent grammes. Pour mes ressorts, chérie, te peser est un drame) Oh! Stupide fléau ! M’as-tu bien regardée? Demande à tes ressorts s’ils sont bien réveillés. Vêtue ou dévêtue, je fais le même poids. Est-ce que par hasard tu te foutrais de moi ? (un claquement de portière) Monsieur, je vous en prie, courez à votre place. Je crois que mon époux… Monsieur, partez de grâce. S’il vous voit en ce lieu, moi nue à vos côtés, Je crains qu’il ne voie pas le fait du bon côté. Et si vous alléguez que c’est pour me peser Il ne comprendra pas ou comprendra... baiser. (Le monsieur regagne sa place. Le mari entre) JEAN-BAPTISTE Mais, c’est pas vrai ! Grand Dieu, dites-moi que je rêve ! Elle met ses habits, aussitôt les enlève. Son imagination fait d’elle un mannequin Et son miroir lui dit : « D’accord : chez Michelin. » Et ce sont ses atours qui seuls ont des défauts !… Quand la cloche est fêlée, c’est la faute au bedeau. Je vous le dis tout net : « Mon Dieu qu’elle m’emmerde ! » GERMAINE Comment suis-je en tailleur ? JEAN-BAPTISTE Chérie, tu es superbe. GERMAINE Est-ce pour plaisanter ? Le penses-tu vraiment ? JEAN-BAPTISTE Tu sais bien, ma chérie, que jamais je ne mens. J’ai croisé dans la rue les deux …. GERMAINE Qui ? JEAN-BAPTISTE Les pédés. GERMAINE Tu tiens, à leur égard, des propos infondés Qui n’ont que les ragots pour authenticité. JEAN-BAPTISTE Tu sais bien qu’ils en sont et la publicité Qui est faite aux homos a dû les exciter A tel point qu’ils en font état dans la cité. Tu ne peux ignorer leur souci permanent D’être considérés en hommes dans le vent. Ils vont passer chez nous : leur carrosse est en panne. GERMAINE De ton antipathie, surtout, ferme les vannes. JEAN-BAPTISTE Ce sont deux grands benêts, d’extravagants crétins, Des lanterniers insanes, des fats, des jobelins. Ils n’ont plus de cerveau que de vieilles potiches Et font rimes de tout pourvu qu’elles soient riches. Entre eux c’est un combat et ils comptent les points; La rime d’un seul pied à leur esprit n’est rien. Il faut qu’elle en ait deux ou trois ou davantage. Qu’importe alors le sens. Si leur abscons ramage Est pour l’être sensé du plus grand hermétisme, Pour eux, il est probant de leur très grand lyrisme. Et l’argent, leur argent, ils l’ont toujours en bouche Comme un remugle d’ail propre à chasser les mouches. Ces parvenus tout frais pensent que c’est argent Qui place dans l’élite et rend intelligent. GERMAINE Des exemples nombreux montrent qu’ils n’ont point tort. JEAN-BAPTISTE Il y a des dindons très heureux de leur sort Qui croient aveuglément que lorsqu’ils font la roue, Le monde tout entier est envieux, jaloux. GERMAINE Moi, je parlais de paon et lui c’est de dindons Mais la roue pour les deux est issue du croupion. Je préfère les coqs qui ont de belles crêtes Car, oubliant leur cul, on remarque leur tête JEAN-BAPTISTE Sous couvert qu’ils ont fait tous deux un héritage Ces plats olibrius en font grand étalage. Ils prétendent s’aimer mais, jaloux l’un de l’autre, Se font des croche-pieds. Ce sont des faux apôtres Prêts à manigancer d’infâmes coups tordus Pour figurer tout seul à côté de Jésus. GERMAINE Tu n’as, à leur endroit, que des propos acerbes. Pourtant ils sont galants et apportent des gerbes De roses ou d’œillets chaque fois qu’un ami A une réception gentiment les convie. JEAN-BAPTISTE C’est vrai que même aux hommes ils apportent des fleurs Et qu’ils couvrent leurs joues de baisers pleins d’ardeur. GERMAINE Pour ce qui est du tact, c’est sûr, tu es largué. JEAN-BAPTISTE Le tact est tout un art mais ce n’est pas l’art gay. GERMAINE Ils sont un peu comme ça mais sont pleins de finesse. JEAN-BAPTISTE (il considère son épouse) Ce tailleur te va bien : il masque un peu tes fesses. L’idéal, ce serait que les deux tu concentres. Si tu le tiens fermé, il masque aussi le ventre. GERMAINE Merci. C’est très gentil. Ce sont là des détails Qui m’auraient échappé sans l’avis marital. Je dois être envoûtée ! Dès que j’oublie mes formes Un sarcasme de toi aussitôt m’en informe ! Par bonheur j’en connais qui regardent les grosses Et de ton ironie, mon chéri, je m’en brosse. Un corps plein de rondeurs est plus voluptueux Que des côtes saillantes et des ventres trop creux. JEAN-BAPTISTE Ce soir était un soir prévu pour la détente Et l’on bat la semelle en attendant des tantes. En plus, il va falloir rouler vitres ouvertes Car le musc des chéris n’est pas un gaz inerte. J’ignore quel grand nez a trouvé la formule Mais il devait l’avoir au ras des testicules Pour créer ce bouquet de navet et de chou Qu’on sent le plus souvent sur les bouches d’égouts. (on sonne) Tiens, voilà les jobards. On va pouvoir partir. GERMAINE Attendons qu’ils arrivent. JEAN-BAPTISTE Je tiens à t’avertir : Je ne supporterai en aucune manière Que sur ce canapé ils posent leur derrière. (il hésite à ouvrir) Ils sont sur le palier et je sens leurs relents Pourtant on dit le bois excellent isolant. Ah, mon Dieu ! Dans leur cas, il faudrait inventer Comme des boules Quies qu’on mettrait dans le nez. (Il hésite à ouvrir) Pourquoi ces deux puants…Bon , je n’ai pas le choix.Scène 2 (Germaine, Jean-Baptiste, Pierre, Miquelon, Armande,Charles) (Il ouvre, son mouchoir sous le nez, les yeux fermés. Ce ne sont pas ceux qu’il attendait mais d’autres amis qui ont l’air particulièrement réjouis) PIERRE Salut la compagnie ! On vient dîner ! C’est nous ! GERMAINE Mais, ce n’est pas ce soir ! Ce n’est pas notre coup ! MIQUELON Jean-Baptiste, mon vieux, serais-tu enrhumé ? JEAN-BAPTISTE Non, non, je vais très bien. J’allais éternuer. Je suis, mes chers amis, de l’avis de Germaine : On dîne à la maison la semaine prochaine. MIQUELON Le rendez-vous est pris : cela nous le savons Et de vos petits plats déjà nous en rêvons.
JEAN-BAPTISTE Mais alors? Dites-moi car je ne comprends plus Le motif expliquant ce soir votre venue. MIQUELON Nous étions chez Louis, assis dans le jardin Et nous parlions de vous. JEAN-BAPTISTE Ça, j’en étais certain. PIERRE Louis n’était pas prêt : il était sous la douche. Du moins le croyions-nous. Il sort. « Ma femme accouche ! » Nous fait-il en tremblant comme une feuille morte. Il était éperdu sur le pas de sa porte. Alors quelqu’un lui dit : « Et pour notre dîner ? » Il nous dit : « Tout est prêt. Il reste à terminer Le gratin dauphinois et dresser le couvert. Je ne puis pas le faire et suis à bout de nerfs. Débrouillez-vous tous seuls. J’y vais. Excusez-moi. » Et comme un malappris, il nous a plantés là. GERMAINE En pareille occasion que vouliez-vous qu’il fît ? MIQUELON Qu’il nous laissât la clef ! GERMAINE Ce n’est point ce qu’il fit ? MIQUELON Il a clos sa maison et mis sa clef en poche. Et nous, nous entendions tourner le tournebroche. PIERRE Oh ! Le festin royal que ce bruit annonçait ! Nous étions suffoqués et décontenancés. Il fallait décider et vous n’étiez pas là. Alors quelqu’un a dit : « C’est leur faute. On y va. » MIQUELON Et alors, nous voilà. On connaît le talent De Germaine en cuisine et elle est, sur ce plan, D’une adresse divine pour nous improviser Un repas de gala. GERMAINE Il faut vous raviser : Je ne fais jamais rien quand je suis invitée Et ce soir je le suis. Germaine : à éviter. PIERRE Pas même une omelette ? MIQUELON Un plat de spaghettis ? GERMAINE Je ne fais rien ce soir. PIERRE Malgré notre appétit ? GERMAINE Et oui, malgré. Il vous faudra trouver ce soir Un restaurant ouvert ou bien une autre poire. JEAN-BAPTISTE Puisque nous sommes là et bientôt au complet, Nous allons boire un verre. Ah ! L’imprévu me plait ! S’il nous place parfois au bord d’un précipice, Il provoque souvent un grand feu d’artifice. GERMAINE Un grand, comme celui qui causa nos malheurs En nous faisant parler comme des rimailleurs. Ah ! Le temps merveilleux quand nous parlions en prose Sans dénombrer les pieds comme épines aux roses ! PIERRE C’était, je m’en souviens, un beau feu d’artifice. Pas un souffle de vent. Sur le lac les eaux lisses. MIQUELON Je m’en souviens aussi. PIERRE Qui pourrait oublier ? La lune, sur ses eaux, paisible, souriait. MIQUELON Nous étions éblouis. Pleins de Oh ! et de Ah ! Les yeux écarquillés. Déçus… Fini ! Déjà ! PIERRE C’est alors que des cieux nous vint une lumière. MIQUELON Et nos yeux effarés reconnurent MIQUELON et PIERRE Molière ! PIERRE On ne peut s’y tromper : Molière, c’était lui. MIQUELON Lumineuse vision qui vint trouer la nuit. PIERRE Cette apparition-là fut totale et commune A tous les spectateurs effarés sous la lune. Quand on leur demanda dès le petit matin Des éclaircissements… MIQUELON C’est en alexandrins Que tous les gens d’ici, comme un seul, déposèrent. Et tous, sur douze pieds, dirent : MIQUELON et PIERRE C’était Molière. PIERRE Et, séquelle imprévue de cette apparition Nous sommes tous atteints d’un mal qui nous confond : Depuis cette nuit-là, la chose est singulière, Nous nous exprimons tous comme parlait Molière. JEAN-BAPTISTE Molière, plus qu’en vers, rayonnait dans la prose. GERMAINE Oui, mais ce sont des vers que le sort nous impose. MIQUELON Même, et c’est un cas entre tous peu banal, C’est en alexandrins qu’on s’exprime au Central. Quoi que vous commandiez : un pastis, une bière, Le patron prend des airs. Bref, on dirait Molière. Et lorsqu’il vient vous voir : « Pour Monsieur, ce sera… ? » Pour s’exprimer en vers, il compte sur ses doigts. On sait qu’il a le verbe excessif un peu trop, Mais ce qu’il dit en vers, je vous le dis, c’est beau. JEAN-BAPTISTE S’il compte sur ses doigts, c’est qu’il est peu atteint. MIQUELON Il a peut-être vu le feu d’un peu trop loin. De Molière, sur lui, le virus insidieux N’aura pu pénétrer au profond de ses yeux. PIERRE En tout cas, c’est un plus et, pour la clientèle, On le voit quelquefois qui fait dans la dentelle. Il peaufine des vers derrière son comptoir Et les sert maintes fois comme des assommoirs. Lorsque fuse un bon mot, ô suave délice, Aux tables d’à-côté bien des gens applaudissent. Ils viennent de partout ainsi qu’au festival Pour goûter au plaisir d’un parler théâtral. GERMAINE N’applaudiraient-ils point s’il s’exprimait en prose ? PIERRE S’il parlait naturel ? Beaucoup moins je suppose. JEAN-BAPTISTE (Il tient une bouteille de champagne sortie du frigo) Voici mes chers amis, de l’union conjugale Le symbole flagrant, l’allégorie totale. Par sa forme convexe, elle évoque la femme. La tête en est petite et le cul… GERMAINE Ô l’infâme ! JEAN-BAPTISTE Et le cul un peu lourd pour la stabiliser. C’est un fait reconnu et, sans ironiser, Cela est mieux ainsi car, dans le cas contraire, Je ne sais si aux mecs vous auriez l’heur de plaire. Nous connaissons assez de dragons de vertu Qui ont grosse la tête et tout petit le cul. De la femme elle arbore aussi tous les atours : Au cou un collier d’or et, sur tout son pourtour, La jupe distinguée d’une belle étiquette. C’est à n’en pas douter une femme coquette. Elle est d’un matériau fragile et résistant Qui se brise d’un rien ou qui résiste au temps. GERMAINE Tu dis des âneries. Coupe ici ta tirade. JEAN-BAPTISTE Dès que je l’ai en main, elle a des sueurs froides. Elle sait que pour peu que mes doigts s’ingénient, Elle perdra la tête et la peur l’envahit. Le mari, c’est ce vin couleur de l’ambre pâle. On ne le dirait pas, mais c’est bien lui le mâle. Elle le tient reclus, constamment sous pression. On le croit résigné. Ce n’est qu’une impression. On le dit bienfaisant, plaisant et généreux, Mais on ne sait de lui que ce qu’on sait de Dieu. Il pourrait, comme l’eau, être neutre, insipide, Tant il paraît comme elle être plat et limpide. Mais il a de l’esprit. -C’est ce qui manque à l’eau – (il débouche la bouteille) Et devient pétillant lorsqu’il sort du goulot. (les amis applaudissent pendant qu’il sert) GERMAINE Si j’ai saisi le sens de cette parabole, Tu viens encore un coup de te payer ma fiole. Une petite tête ! Un truc sans intérêt ! Qui peut imaginer qu’elle puisse penser ? Par contre, du côté de la chute des reins, Elle a bien plus d’esprit et pense plutôt bien. Tu raisonnes en macho et tu es misogyne J’ai peut-être un gros cul mais ma tête turbine. Monsieur mon cher époux manque de liberté Et sent comme une entrave à sa virilité. Car, c’est bien de cela, vous avez tous compris, Qu’il parlait à l’instant en évoquant l’esprit. JEAN-BAPTISTE C’est un fait reconnu que, causant des nénettes, Les hommes jugent plus sur fessiers que sur têtes. Ils sont, proies et chasseurs, tentés par les appâts Qu’elles voilent un peu mais qu’elles ne cachent pas. Ils parlent plus des fruits qui sont mis à l’étal Que de ceux que l’on tient dans le fond du local. Si vous vouliez qu’on penche en faveur de l’esprit, A votre cher miroir vous mettriez moins de prix, Mais vous avez laissé le vrai pour le paraître Et choisi qu’on vous voit même sans vous connaître. Ce que, par vos atours, vous mettez en valeur, Ce n’est pas votre esprit, pas même votre cœur. Les cheveux que l’on teint, le visage qu’on peint, Les petits balconnets qui exhaussent les seins, Les modes que l’on suit pour n’avoir point l’air bête Montrent qu’entre l’esprit et votre silhouette, C’est vous-mêmes, Mesdames, qui avez fait le choix. Vous voulez avant tout que les hommes vous voient. Et quand vous les tenez dans vos filets résilles, Vous ne voudriez plus qu’ils lorgnent d’autres filles. Vous mettez des bouchons pour qu’ils restent à vous Et puis, d’un muselet, vous leur serrez le cou. GERMAINE Dis-toi bien que sans moi et que sans mon bouchon Tu serais acétique et forcément moins bon. JEAN-BAPTISTE Avant que ma moitié se transforme en mégère, Trinquons à l’amitié qu’un bon vin régénère. Nous parlions, ce me semble, avant que je vous coupe Et que de ce nectar je remplisse vos coupes, Des effets amusants qu’ont les alexandrins Sur des gens fort connus. On m’a fait, hier matin, Un récit admirable et j’ai là l’occasion De provoquer chez vous de vives sensations En parlant de quelqu’un qu’on vénère à genoux Et qui, s’il est giflé, tend toujours l’autre joue. GERMAINE Ô suppôt de Satan ! Je vois qui tu veux dire. JEAN-BAPTISTE Non, tu ne le vois pas. GERMAINE Je le sens et c’est pire. Tu vas parler encor de ce qui arriva A notre bon curé. JEAN-BAPTISTE Le bougre ! GERMAINE Ah ! Scélérat ! JEAN-BAPTISTE Il cherchait vainement une rime à confesse. « Parlez donc de mon cul », lui fit la pécheresse Qui attendait, patiente, en son confessionnal Que le saint homme eût fait un vers sacerdotal. Et voilà le curé qui s’offusque : « Madame ! Vous osez au Saint Lieu dire une chose infâme ! - Infâme ? Mais c’est Dieu, le divin créateur, Lui seul, qui m’a doté d’un si beau postérieur ! - Ma fille, taisez-vous. – Il faut que je vous dise, Même si à vos yeux, j’ai… - Ceci est une église ! - Justement, en ce lieu, je vins dès mon jeune âge Confesser devant vous tous mes libertinages. » PIERRE Je vois le pauvre vieux qui cherche encor sa rime ! MIQUELON Et elle qui s’apprête à la curée ultime. JEAN-BAPTISTE C’est cela tout à fait. Déjà, elle jubile. GERMAINE Tu calomnies un saint. Crois-tu que c’est utile ? JEAN-BAPTISTE Je ne calomnie point car c’est la vérité Et toute vérité a droit d’être citée. Certaines professions servent de passe-droit Masquant les coups tordus sous un aspect bien droit. Un saint, qui n’est qu’un homme, a aussi ses faiblesses. Puis-je continuer ce récit de confesse ? GERMAINE Armande, venez donc. Assez de paillardises. Je ne puis supporter que l’on rie de l’Eglise. Que les blasphémateurs, les athées, les impies Aillent seuls aux enfers et leurs péchés expient ! La fraîcheur d’un doux soir nous appelle au balcon. Nous allons respirer sans écouter ces … JEAN-BAPTISTE Bon, Germaine est bien connue pour être femme forte. Elles sont au balcon mais n’ont fermé la porte. Elles pourront ainsi suivre ce pieu récit Tout en nous affirmant ne l’avoir point ouï. Je reviens au curé et à la demoiselle Que le pays connaît pour n’être point pucelle. Imaginez la fille avec ses yeux pervers Et notre bon curé dévorant son bréviaire. « Vous êtes bien content de me voir arriver Après douze bigotes. – Moi, content ! – Oui, l’abbé. Je vois sur vous, parfois, poindre quelque sourire Et j’entends, malgré vous, vos démons qui soupirent. Ah ! Si je confessais deux ou trois peccadilles, Ils soupireraient moins ! Mais je suis belle fille Et je sais qu’à l’encens, odeur de sainteté, Vous préférez mon nard qui est moins éventé. Vos oreilles m’écoutent avec délectation Car vous êtes, avouez, voyeur par audition. Lorsque vous soupirez, c’est sur d’obscurs fantasmes Et quand vous toussotez, ce n’est jamais de l’asthme. Dites-le moi enfin que j’éveille un désir Quand je viens confesser les péchés du plaisir ! Lorsque je les avoue, il vous faut des détails Qu’on n’exige jamais dans un confessionnal. Et, quoique prisonnier de votre sacerdoce, Au régime sacré vous faites des entorses. Lorsque enfin j’ai fini, toute à la contrition, Je vous vois balancer sur la punition Car vous, tout au plaisir de m’avoir confessée, Renieriez le Pater pour choisir la fessée. PIERRE Le diablotin de Dieu ! MIQUELON La divine diablesse ! PIERRE Et tout ça pour trouver une rime à confesse. J’ai, pour vous étonner, bien plus original Que votre saint homme lubrique ou le boss du Central. GERMAINE (qui revient) Si nos petits minets décidaient d’arriver Nous pourrions à cette heure aller nous restaurer. Vos ragots de bistro sont d’un niveau si bas ! Merde ! Je viens encor de faire filer un bas ! JEAN-BAPTISTE ( à Pierre) Vas-y, étonne-nous. Il nous tarde d’entendre Ton récit amusant qui devrait nous surprendre. PIERRE Il tient en quelques mots mais il est édifiant. JEAN-BAPTISTE Les plus petits gâteaux sont les plus croustillants. PIERRE Hier, non loin de chez moi, un touriste hésitait. Il voulait à tout prix visiter la cité. Dieu sait s’il est ardu de pénétrer en ville Même pour l’autochtone. MIQUELON Même le plus habile. Il y a çà et là de petites entrées, Des passages étroits, des courbes prononcées, Des culs-de-sac trompeurs et des voies sans issue. JEAN-BAPTISTE C’est pour piéger le vent qu’elle est ainsi conçue. En pénétrant chez nous, c’est dans un labyrinthe Que vous vous engagez. Mais n’ayez nulle crainte : Les monuments à voir sont tous très bien fléchés. MIQUELON Mais pour se bien garer, hélas, on se fait ch…suer. Où que vous arriviez, la place est déjà prise. Pourtant les rues sont vides et vide aussi l’église. D’après ce que je sais, ce sont les commerçants Et les gens qu’ils emploient, c’est plutôt amusant, Qui occupent les lieux car ils n’habitent pas A l’endroit du commerce, ni même à quelques pas. Ce sont gens de banlieue qui travaillent en ville. PIERRE S’ils venaient en vélo, ce serait plus habile. MIQUELON Ils obligent ainsi leurs virtuels clients A faire des parcours…
JEAN-BAPTISTE Moi, je le dis : déments. MIQUELON Et ceux-ci vont alors vers les grandes surfaces Où, sur de grands parkings, ils ont toujours leur place. JEAN-BAPTISTE Cette évidence-là ne peut se contester Et rien ne sert alors de geindre et de pester. CHARLES (qui s’était plongé en arrivant dans la lecture du journal) Ce n’est là qu’un aspect partisan de l’affaire. Je connais force gens, même des fonctionnaires, Qui résident en ville et n’ont point de garage Pour ranger à l’abri leurs bruyants attelages. Ils les garent alors dans les rues, les impasses Et, lorsqu’ils l’ont trouvée, ne lâchent plus la place. Les voitures bouchons sont à des résidents Que l’on voit en vélo ou à pied : des prudents. JEAN-BAPTISTE C’est vrai, l’encombrement n’est pas d’un seul fauteur Mais le brave étranger, lui, l’innocent, prend peur. CHARLES Pourtant, on fait beaucoup pour les faire venir. On fait des promotions, il faut en convenir. Regardez ce journal en pages régionales : Il y a des photos. JEAN-BAPTISTE J’ai vu : des bacchanales Que l’on fait dans les rues avec beaucoup de bruits. Ce sont des rondes, hélas ! qui donnent le tournis. CHARLES Parfois, les commerçants mettent bancs dans la rue. JEAN-BAPTISTE J’admets que c’est un pas, mais c’est discontinu. On voit un peu partout « Pas de porte à vendre » Et des rideaux baissés à force de mévendre. CHARLES On fait beaucoup pour l’art, il faut le reconnaître. Il y a des salons où exposent des maîtres. JEAN-BAPTISTE Par malheur, ce qu’on fait n’est pas toujours du goût Des gens qui, comme moi, ne sont pas dans le coup. Je vois un tas de fer, une tache, un nougat… Lorsque le connaisseur me dit : « Je suis baba ! Je n’ai jamais rien vu de tel que ces merveilles ! » Je doute de mes yeux comme de mes oreilles. J’aimerais une ville illuminée par l’art Où l’on viendrait de loin en voitures et en cars. Mais hélas …Dis, sais-tu qui a lancé l’idée D’exposer par chez nous cet art d’illuminés ? MIQUELON C’est un contrat, je crois, avec un ministère. Je crois mais n’en suis sûr. En fait, c’est un mystère. Les génies les plus grands passent d’abord pour fous. JEAN-BAPTISTE Qu’ils passent ou qu’ils le soient, dans le fond, je m’en fous, Mais qu’ils nous fassent voir ce que l’on peut comprendre Et qu’ils nous fassent ouïr ce que l’on aime entendre. L’art, je ne le conçois que s’il est populaire. Est-ce qu’on ne connaît Dieu que dans les séminaires ? Rien ne me déçoit plus que cet art élitiste Dont bien des m’as-tu-vu se font apologistes. Et que dire, aussi, des aménagements Qui agressent nos yeux, et sans ménagement. MIQUELON Les réalisations naissent d’un seul pouvoir Et, sans concertation, tout n’est pas beau à voir. Les experts en beauté sont surtout les artistes Et parfois ce qu’ils créent n’est pas très réaliste. Or, quand l’œuvre d’un seul tombe dans d’autres mains, Ce que ces mains en font est d’un goût incertain. On place aux coins des rues des statues pour les places Et l’on met à l’étroit tout ce qui veut l’espace. PIERRE C’est comme ces tableaux que l’on voit sans recul Dans l’escalier étroit ou dans un vestibule. JEAN-BAPTISTE On les met toujours là parce qu’il y a des crochets Et qu’on ferait des trous si on les déplaçait. Ceux qui s’occupent d’art pour décorer nos villes N’ont pas toujours de l’art une idée très subtile. Ce sont des béotiens qui se disent esthètes Trop vite à court d’idées dans leurs petites têtes. GERMAINE(qui écoute depuis le balcon) N’avons-nous pas un homme à la tête de l’art ? PIERRE Si fait. Un muscardin, un pédant snobinard. Un de ces m’as-tu-vu imbus de leur personne Qui croient que c’est pour eux que le carillon sonne. GERMAINE N’as-tu pas dit, très cher, que la tête petite De toute femme était le symbole implicite ? JEAN-BAPTISTE Il arrive parfois qu’aussi les hommes l’ont Comme goût de concombre ont parfois les melons. MIQUELON Je ne vous parle pas des bacs inesthétiques, Bacs dont le granulat n’a rien de très antique. Ils devraient regorger de verdure et de fleurs Mais sont pleins de mégots et d’urine l’odeur Donne à nos belles rues non parfums de Provence Mais forts relents de musc et même un peu de rance. On voit pourtant partout des villages fleuris Aux fontaines gloussantes… PIERRE C’est vrai, chez nous c’est gris Mais ce n’est pas nouveau. C’est bien d’avant Molière. CHARLES Vous avez le défaut de la gent sédentaire Qui vit sur son passé et ne regarde sans voir. Si vous veniez d’ailleurs, le matin ou le soir Vous seriez ébloui par les ocres, les roses Et n’auriez du pays nulle opinion morose. Notre ville est fleurie et, jusqu’à profusion, Les fleurs coulent en flots de mille suspensions. Et n’avez-vous point vu les ronds-points giratoires Qui sont pour tout pays plus que circulatoires ? Du monde d’aujourd’hui, ce sont les monuments PIERRE Où des hommes en bleu nichent très fréquemment. Quand tu passes charmé par l’art et la culture, Eux n’ont qu’un objectif : a-t-il mis sa ceinture ? CHARLES L’étranger qui les voit ne peut qu’être charmé ; Alors, il entre en ville au lieu de rayonner. PIERRE Charmé par les agents de la force publique ? CHARLES Je parlais des ronds points. Leur charme est authentique. PIERRE L’effort est évident mais jetons un regard : Viendront-ils aussi vieux que l’est le Pont du Gard ? CHARLES La critique est rapide et le jugement lent. Les préjugés ont tous un aspect virulents. Vous portez sur la ville un regard trop sévère. JEAN-BAPTISTE Vous aviez annoncé plus extraordinaire. Et nous nous égarons dans d’étroites ruelles Où l’on ne voit du ciel qu’images virtuelles. PIERRE C’est la conversation qui a guidé nos pas De façon hasardeuse. JEAN-BAPTISTE Amis, mea culpa. Les steaks et les récits perdent à être hachés. Pierre, reprend le fil que je t’ai fait lâcher. PIERRE Etant entré chez nous et cherchant la sortie Les étrangers patients perdent un peu de vie. A moins qu’ils soient trappeurs et aguerris aux pistes, Ils craquent sans retour. Pas un seul ne résiste. On en voit pénétrer. MIQUELON Mon dieu les téméraires ! PIERRE Mais les revoir sortir est extraordinaire. On a vu un barbu hirsute, un vagabond, Qui, depuis fort longtemps, chez nous, tournait en rond. MIQUELON Ne dites surtout pas : C’est la faute à Molière ! PIERRE Surtout pas, mon ami. Point n’est fautif Molière. C’est même grâce à lui qu’il a trouvé l’issue Et cette histoire-là n’est de fil blanc cousue. Plusieurs fois le pauvre homme à la mine blafarde Avait sollicité l’entremise des gardes. Mais ceux-ci, quoique armés, n’avaient pas bien compris Qu’avoir l’air d’hère errant ne fait point bas d’esprit. JEAN-BAPTISTE Qu’à voir l’air d’hère errant ? Quelle allitération ! Vous me voyez béat, pantois d’admiration. Qu’avoir l’air d’hère errant !… c’est parfait pour la gorge Que le trac tient serrée comme un étau de forge. Poursuivez, poursuivez que je prise en silence Ce récit qui, pour moi, est un pic d’éloquence. PIERRE Ils l’avaient rabroué sans aucune manière Et, s’il eût été chien, l’auraient mis en fourrière. Ils l’avaient rabroué… « Ils » il s’agit des gardes. S’il eût été chien… « Il », c’est celui des hardes. MIQUELON La précision parfois dans un récit s’impose. Et sans elle céans je n’eus compris grand-chose. Ce n’est pas de leur faute. Ils ne sont pas coupables. (Ce vers, soyons très clair, ne vise que les gardes. Et point le vagabond au corps couvert de hardes). JEAN-BAPTISTE Point ne le sont, c’est vrai. Tout juste responsables. On n’a pas sous la main des gardes polyglottes. MIQUELON Il suffit ! D’y penser j’ai les nerfs en pelote. PIERRE On n’en peut point avoir. MIQUELON Pourquoi donc ? Quelle cause ? PIERRE Il faudrait les payer. MIQUELON La question est donc close. CHARLES Ne les paye-t-on point ? PIERRE Comme gardes champêtres. Mais s’ils se déclaraient comme gardes interprètes, Il est clair que cela gonflerait nos impôts JEAN-BAPTISTE N’agitons rien, grand dieu ! La lie au fond du pot N’empêche pas de boire. Ne changeons pas les choses : Nous avons des impôts qui frôlent l’overdose. Et Molière, grand Dieu, que fait-il en tout ça ? Si les deux tantes arrivent…Sacrebleu ! Fais fissa ! PIERRE Il arrive, il accourt, il est dans la coulisse. Sa main est au heurtoir
MIQUELON Mettez fin au supplice. PIERRE S’il arrive, il convient de rester silencieux Et de s’agenouiller comme on le fait pour Dieu. | |
|